Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/500

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
432
[1360]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

hostoier en Bretagne, en Blois et en Touraine cel été, si comme dessus est dit. Et si le duc de Lancastre son cousin, que moult aimoit et créoit, lui eût autant déconseillé paix à faire que il lui conseilloit, il ne se fût point accordé. Mais il lui montroit moult sagement et disoit : « Monseigneur, cette guerre que vous tenez au royaume de France est moult merveilleuse et trop fretable pour vous ; vos gens y gagnent, et vous y perdez et allouez le temps. Tout considéré, si vous guerroyez selon votre opinion, vous y userez votre vie, et c’est fort que vous en viengniez jà à votre intention. Si vous conseille, entrementes que vous en pouvez issir à votre honneur, que vous prenez les offres qu’on vous présente, car, monseigneur, nous pouvons plus perdre en un jour que n’avons conquis en vingt ans. »

Ces paroles et plusieurs autres belles et soutilles que le duc de Lancastre remontroit fiablement, en instance de bien, au roi d’Angleterre convertirent le dit roi, par la grâce du Saint Esprit qui y ouvroit aussi ; car il avint à lui et à toutes ses gens un grand miracle, lui étant devant Chartres, qui moult humilia et brisa son courage ; car pendant que ces traiteurs françois alloient et prêchoient le dit roi et son conseil, et encore nulle réponse agréable n’en avoient, un temps et un effoudre et un orage si grand et si horrible descendit du ciel en l’ost du roi d’Angleterre, que il sembla bien proprement que le siècle dût finir ; car il chéoit de l’air pierres si grosses que elles tuoient hommes et chevaux, et en furent les plus hardis tout ébahis. Et adonc regarda le roi d’Angleterre devers l’église Notre-Dame de Chartres, et se rendit et voua à Notre Dame dévotement, et promit, si comme il dit et confessa depuis, que il s’accorderoit à la paix.

Adoncques étoit-il logé en un village assez près de Chartres qui s’appelle Bretigny ; et là fut certaine ordonnance et composition faite et jetée de paix[1], sur certains articles qui ci en suivant sont ordonnés. Et pour ces choses plus entièrement faire et poursuir, les traiteurs d’une part, et autres grands clercs en droit du conseil du roi d’Angleterre, ordonnèrent sur la forme de la paix, par grand’délibération et par bon avis, une lettre qui s’appelle la chartre de la paix[2], dont la teneur est telle.

  1. Quelques critiques ont essayé d’établir, contre l’opinion commune, que le fameux traité qui rendit la liberté au roi Jean avait été conclu à Bretigny près de Chastres, aujourd’hui Arpajon, et non à Bretigny près de Chartres ; mais ils ne paraissent pas répondre d’une manière satisfaisante à l’autorité réunie de Froissart et des Chroniques de France. Le témoignage des Chroniques doit surtout être du plus grand poids ; car personne n’ignore que depuis 1340 jusqu’en 1380, elles sont l’ouvrage d’un ou de plusieurs écrivains contemporains très bien instruits de tout ce qui se passait dans l’intérieur de la France. Or voici ce qu’on lit, chap. 122 : Le roi d’Angleterre qui avait quitté les environs de Paris le 12 avril pour aller avec son armée vers Bonneval et Châteaudun, ayant laissé entrevoir qu’il était disposé à renouer les négociations, les plénipotentiaires français partirent de Paris le 27, et « Ycellui jour furent à Chartres, et depuis passèrent outre en allant vers le dit roy d’Angleterre, et envoyèrent par devers lui pour savoir où ils s’assembleroient pour traiter : auxquels de la partie de France fut fait à savoir qu’ils retournassent vers Chartres et que le dit roi se tireroit vers là. Et ainsi le firent…… Et le roi d’Angleterre se alla loger à une lieue près ou environ en un lieu appellé Dours (corrigez, Sours, comme on le verra ci-après) ; et prirent place pour assembler et pour traiter en un lieu appelé Bretigny, à une lieue de Chartres ou environ. »

    Il est clair par ce récit que l’auteur des Chroniques a voulu désigner la ville de Chartres et non Chastres près de Montlhéry. Si on le soupçonnait de s’être trompé, ainsi que Froissart, sur le lieu où fut conclu le traité, on serait bientôt convaincu du contraire par la date d’une des pièces qui y sont relatives. Elles furent pour la plupart données à Chartres ou à Bretigny lez Chartres ; mais on en trouve une du prince de Galles qui est datée du 7 mai à Sours de-lez Chartres. Or Sours, qui est visiblement le même lieu nommé, par erreur de copiste, Dours, dans le passage des chroniques qu’on vient de rapporter, est un bourg situé à une lieue de la ville de Chartres. Ainsi, à moins qu’on ne trouve un lieu de ce nom auprès d’Arpajon, comme on y trouve un Bretigny, et qu’on n’oppose aux témoignages de Froissart et des Chroniques de France d’autres autorités plus fortes, on ne peut s’empêcher de regarder Bretigny près de la ville de Chartres comme le lieu où fut conclu le fameux traité qui en porte le nom.

  2. La pièce qu’on va lire renferme les principales clauses du traité conclu à Bretigny, mais n’est point le traité même tel qu’on le trouve dans Rymer, pages 202 et suivantes, et dans les Chroniques de France, chap. 124. Elle n’est point non plus la même qu’on lit dans les Froissarts imprimés ; la première moitié est assez semblable, mais le reste est différent ; et ni l’une ni l’autre n’ont été publiées par Rymer. On ne la transcrit point ici, parce qu’on peut y recourir si on le juge à propos, et surtout parce qu’elle ne contient aucune clause qui ne se trouve dans les autres chartes fournies par les manuscrits.