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LIVRE I. — PARTIE II.

qui les avoit reçus moult honorablement ; et pour plus grand’conjonction de paix et d’amour, le dit comte de Flandre étoit venu avecques eux à Calais ; et passa la mer et vint à Douvres où le roi, et une partie de ceux de son conseil qui là se tenoient, le reçurent. Et encore étoient là quand le dessus dit varlet et message en ce cas apporta les nouvelles de la besogne d’Auray, ainsi comme elle avoit été. De laquelle avenue le roi d’Angleterre et les barons qui là étoient furent moult bien réjouis, et aussi fut le comte de Flandre, pour l’amour, honneur et avancement de son cousin germain le comte de Montfort. Si furent le roi d’Angleterre, le comte de Flandre et îes seigneurs dessus nommés environ trois jours à Douvres, en fêtes et en ébattemens ; et quand ils eurent assez révélé et joué et fait ce pourquoi ils étoient là assemblés, le comte de Flandre prit congé au roi d’Angleterre et se partit. Si me semble que le duc de Lancastre et messire Aymon repassèrent la mer avecques le comte de Flandre, et lui tinrent toujours compagnie jusques à tant qu’il fût venu à Bruges. Nous nous souffrirons à parler de cette matière et parlerons du comte de Montfort, comment il persévéra en Bretagne.


CHAPITRE CXCIX.


Comment ceux d’Auray, ceux de Jugon et ceux de Dinant se rendirent au comte de Montfort ; et comment le dit comte assiégea la bonne cité de Campercorentin.


Le comte de Montfort, si comme il est ci-dessus dit, tint et mit le siége devant Auray, et dit qu’il ne s’en partiroit, si l’auroit à sa volonté. Ceux du châtel n’étoient mie bien aises, car ils avoient perdu leur capitaine, Henry de Hauternelle, qui étoit demeuré à la besogne, et toute la fleur de leurs compagnons ; et ne se trouvoient laiens que un petit de gens, et si ne leur apparoît secours de nul côté ; si eurent couseil d’eux rendre et la forteresse, saufs leurs corps et leurs biens. Si traitèrent devers le dit comte de Montfort et son conseil sur l’état dessus dit. Le dit comte, qui avoit en plusieurs lieux à entendre et point ne savoit encore comment le pays se voudroit maintenir, les prit à mercy et les laissa paisiblement partir, ceux qui partir voulurent, et prit la saisine de la forteresse et y mit gens de par lui ; et puis chevaucha outre, et tout son ost qui tous les jours croissoit, car gens d’armes et archers lui venoient d’Angleterre à effort ; et aussi se traioient plusieurs chevaliers et écuyers de Bretagne devers lui, et par espécial ces Bretons Bretonnans. Si s’en vint devant la bonne ville de Jugon qui se clouit contre lui et se tint trois jours ; et la fit le dit comte de Montfort assaillir par deux assauts, et en y eut moult de blessés dedans et dehors. Ceux de Jugon, qui se véoient assaillis et point de recouvrer au pays n’avoient, n’eurent mie eonseil d’eux tenir longuement ni d’eux faire hérier ; et reconnurent le comte de Montfort à seigneur, et lui ouvrirent leurs portes, et lui jurèrent foi et loyauté à tenir et à garder à toujours mais. Si remua le dit comte tous les officiers en la ville et y mit des nouveaux ; et puis chevaucha devers la bonne ville de Dinant. Là mit-il grand siége et qui dura bien avant en l’hiver ; car la ville étoit bien garnie et de grands pourvéances et de bonnes gens d’armes. Et aussi le duc d’Anjou leur avoit mandé qu’ils se tenissent ainsi que bonnes gens se devoient faire, car il les conforteroit. Cette opinion les fit tenir et endurer maint assaut. Quand ils virent que leurs pourvéances amenrissoient et que nul secours ne leur apparoît, ils traitèrent de paix devers le comte de Montfort, lequel y entendit volontiers, et ne désiroit autre chose, mais que ils le voulussent reconnoître à seigneur ainsi qu’ils firent. Et entra en la dite ville de Dinant à grand’solemnité[1] ; et lui firent tous féauté et hommage. Puis chevaucha outre et s’en vint atout son ost devant la bonne cité de Campercorentin, et l’assiéga de tous points ; et y fit amener et acharier les grands engins de Vannes et de Dinant. Si dit et promit qu’il ne s’en partiroit, si l’auroit. Et vous dis ainsi, que les Bretons et les Anglois de Montfort, messire Jean Chandos et les autres, qui avoient en la bataille d’Auray pris grand’foison de prisonniers, n’en rançonnoient nul, ni mettoient à finance, pourtant qu’ils ne vouloient mie qu’ils se recueillissent ensemble et en fussent de rechef combattus : mais les envoyèrent en Poitou, en Xaintonge, à Bordeaux et à La Rochelle tenir prison ; et pendant ce conquerroient les dits Bretons et Anglois d’un côté le pays de Bretagne.

  1. Dinant se rendit vers la fin d’octobre ; la reddition de Jugon est aussi de ce mois.