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LIVRE I. — PARTIE II.

chal de Bordeaux, le sénéchal de la Rochelle, le sénéchal d’Agénois, le sénéchal de Poitou, le sénéchal d’Angoulémois, le sénéchal de Rouergue, le sénéchal de Limousin, le sénéchal de Bigorre, messire Louis de Meleval, messire Raymon de Mareuil et plusieurs autres. Et sachez que nul ne se faignoit de bien combattre ; et aussi ils trouvoient bien à qui, car Espaignols et Castellains étoient près de cent mille têtes armées ; si que la grand’quantité du peuple les tenoit en vertu, et ne put être qu’il n’en y eût de bien combattans et bien faisans à leur pouvoir.

Là étoit le roi Dan Piètre moult échauffé, qui durement désiroit à trouver et encontrer son frère le bâtard Henry, et disoit : « Où est ce fils de putain, qui s’appelle roi de Castille ? »

Le roi Henry se combattoit autre part moult vaillamment, et tenoit ce qu’il pouvoit ses gens en vertu, et leur disoit : « Bonnes gens, vous m’avez fait roi et couronné roi ; aidez-moi à défendre et garder l’héritage dont vous m’avez hérité. » Telles paroles et autres que ce jour il leur dit en firent plusieurs hardis et vaillans, et demeurer sur les champs, qui pour leur honneur ne daignoient fuir.


CHAPITRE CCXXXIX.


Comment messire Bertran du Guesclin fut déconfit, et lui et plusieurs autres pris.


La bataille de la route qui mieux fut combattue et plus entièrement, ce fut celle de messire Bertran du Guesclin, car là étoient droites gens d’armes qui se combattoient et vendoient à leur loyal pouvoir. Et là furent faites plusieurs grands appertises d’armes. Et par espécial messire Jean Chandos y fut très bon chevalier, et conseilla et gouverna ce jour le duc de Lancastre en telle manière, comme il fit jadis son frère le prince de Galles en la bataille de Poitiers. De quoi il fut moult honoré et recommandé ; ce fut bien raison ; car un vaillant homme et bon chevalier qui ainsi s’acquitte envers ses seigneurs, on le doit bien recommander. Et n’entendit ce jour oncques à prendre prisonnier de sa main, fors à combattre et toudis aller avant. Si furent pris de ses gens et dessous sa bannière plusieurs bons chevaliers et écuyers de France et d’Arragon, et par espécial messire Bertran du Guesclin et messire Arnoul d’Audrehen, messire le Bègue de Vilaines et plus de soixante bons prisonniers. Finablement, la bataille messire Bertran du Guesclin fut déconfite, et furent tous morts et pris ceux qui y étoient, tant de France comme d’Arragon, et là fut mort messire le Bègue de Villiers, et pris : le sire d’Antoing en Hainaut, le sire de Brifeuil, messire Gauvain de Bailleul, messire Jean de Berguettes, messire l’Allemand de Saint-Venant et moult d’autres. Adonc s’en revinrent ces bannières et ces pennons, la bannière du duc de Lancastre, la bannière messire Jean Chandos, et la bannière des deux maréchaux et le pennon Saint-George, sur la bataille du roi Henry, en écriant à haute voix : « Saint George, Guyenne ! » Là furent les Espaignols et ceux de leur côté moult fort reboutés. Là vit-on messire le captal de Buch et le seigneur de Cliçon bien combattre. Et d’autre part, messire Eustache d’Aubrecicourt, messire Hue de Cavrelée, messire le soudich, messire Jean d’Évreux et les autres furent bons chevaliers. Là étoit le prince en bon convenant, qui se montroit bien être un sire bon chevalier, et requéroit et combattoit ses ennemis de grand’volonté. D’autre part le roi Henry en tous états se acquitta très vaillamment ; et recouvra et retourna ses gens par trois fois ; car très donc que le comte Dam Tille et bien trois mille à cheval se partirent, se commencèrent moult les autres à déconfire ; et s’en vouloient le plus partir et fuir ; mais le dit roi Henry leur étoit allé au devant, en disant : « Beaux seigneurs, que faites-vous ? Pourquoi me voulez-vous ainsi guerpir et trahir, qui m’avez fait roi et mis la couronne au chef et l’héritage de Castille en la main ? Retournez-vous, et là m’aidez à calenger et défendre, et demeurez de-lez moi ; la journée, par la grâce de Dieu, sera à nous. » Si que, par telles paroles et tels reconforts, il encouragea les plusieurs, et fit combattre longuement et là demeurer qu’ils n’osoient de honte fuir, quand ils véoient leur roi et leur seigneur devant eux ; et moururent plus de mille et cinq cents qui se fussent bien sauvés autrement, et eussent pris le temps bien à point et à leur avantage.


CHAPITRE CCXL.


Comment les Espaignols s’enfuirent, et comment le roi Henry s’enfuit à sauveté ; et comment la cité de Najares fut prise et toute courue et pillée.


Quand la bataille des maréchaux fut oultrée et déconfite, et toutes les grosses batailles des An-