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LIVRE I. — PARTIE II.

nir son état à Burgues, et sa femme et ses enfans, en régnant comme roi. De la prospérité et bonne aventure de lui furent moult réjouis le roi de France et le duc d’Anjou, qui moult l’aimoient, et aussi le roi d’Arragon.

En ce temps trépassa de ce siècle, en Ast en Piémont, messire Lion d’Angleterre[1], qui en celle saison étoit passé outre. Si comme ci-dessus est dit, il avoit pris à femme la fille à monseigneur Galéas, seigneur de Milan. Et pourtant qu’il mourut assez merveilleusement, messire Édouard Despensier, son compagnon, qui là étoit, en fit guerre au dit monseigneur Galéas et le haria et rua jus plusieurs fois de ses gens. En la fin monseigneur le comte de Savoie s’en informa et les mit à accord.

Or reviendrons-nous aux besognes et aux avenues de la duché d’Aquitaine.


CHAPITRE CCLVI.


Comment le roi de France fit lire et examiner les chartres des traités faits entre lui et le roi d’Angleterre.


Vous avez ci-dessus ouï recorder comment le prince étoit informé et conseillé que de élever un fouage en sa terre, dont toutes ses gens se tenoient à trop chargés, et par espécial ceux de Gascogne ; car ceux des basses marches de Poitou, de Xaintonge et de la Rochelle, s’y accordèrent assez bien, pourtant qu’ils étoient plus prochains au séjour du prince, et aussi ont été toudis plus obéissans et descendans aux ordonnances de leurs seigneurs, et plus fermes et estables que ceux des lointaines marches. Pour cette chose mettre à l’intention du prince et de son conseil, en furent plusieurs parlemens assemblés à Niort, à Angoulême, à Poitiers, à Bordeaux, à Bergerac ; et toudis maintenoient ceux de Gascogne que point n’en payeroient, ni jà en leurs terres courir ne le souffriroient ; et mettoient avant que ils avoient ressort en la chambre du roi de France. De ce ressort étoit durement le prince courroucé ; et répondoit bien à l’encontre, et disoit que non avoient, et que le roi de France avoit quitté tous ressorts et toutes juridictions quand il rendit les terres à son seigneur de père, ainsi que bien étoit apparent par les traités et chartres de la paix, qui de ce faisoient pleinement et clairement mention, et que nul article de ressort n’y avoient les traiteurs de la paix pour le roi de France réservé. À ce propos répondoient les Gascons, et disoient qu’il n’étoit mie en l’ordonnance et puissance du roi de France, ni oncques ne fut, que il pût quitter du ressort ; car les prélats, les barons, les cités et les bonnes villes de Gascogne ne l’eussent jamais souffert ni souffriroient, si il étoit à faire, pour toujours demeurer le royaume de France et le royaume d’Angleterre en guerre. Ainsi étoient en grignes le prince et les seigneurs de Gascogne, et soutenoient chacun son opinion et disoient qu’ils avoient bon droit. Et se tenoient tous cois à Paris, de-lez le roi de France, le comte d’Armignac, le sire de Labreth, le comte de Pierregord, le comte de Comminges et plusieurs autres barons de Gascogne, qui tâtoient et informoient le roi tous les jours, par grand loisir, que le prince, par orgueil et présomption les vouloit suppéditer et élever choses indues en leurs terres, lesquelles ils ne souffriroient jamais êtres faites ; et disoient et remontroient au roi qu’ils avoient ressort à lui. Si vouloient que le prince fût appelé en parlement, en la chambre des pairs, sur les griefs et les molestes que il vouloit leur faire. Le roi de France, qui se véoit poursuivi de ces seigneurs de Gascogne, et qui le requéroient de confort et d’aide, comme leur souverain, ou ils se trairoient en autre cour, et disoient qu’il perdroit cette seigneurie, descendoit envis à leur requête, pourtant qu’il sentoit bien que la chose ne pouvoit venir à autre chose que à guerre, laquelle, sans grand titre de raison, il ne vouloit émouvoir. Et encore voyoit-il son royaume trop grévé et trop pressé de compagnies et de ennemis : si étoit son frère le duc de Berry hostagier en Angleterre ; si vouloit ces choses faire tout mûrement.

En ce temps étoit revenu en France messire Guy de Ligny, comte de Saint-Pol, sans prendre congé aux Anglois, et par grand’soubtiveté. La matière en seroit trop longue à deviser, je m’en passerai briévement. Lequel comte héoit tant les Anglois que il n’en pouvoit nul bien dire, et rendoit grand’peine à ce que le roi de France descendit à la prière des Gascons ; car bien savoit que si le prince étoit appelé en parlement, ce seroit un mouvement de grand’-

  1. Ce prince mourut au mois de septembre 1368, vers la fête de la Nativité de la Vierge, plusieurs mois avant l’époque que Froissart assigne à cet événement.