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LIVRE I. — PARTIE II.

gneurs. Et pour sa guerre embellir et colorer, il fit copier par ses clercs plusieurs lettres touchans à la paix confirmée à Calais, et là en dedans enclorre toute la substance du fait, et quelle chose le roi d’Angleterre et ses enfans avoient juré à tenir, et en quoi par leurs lettres scellées ils s’étoient soumis, et des renonciations aussi qu’ils avoient faites, et des commissions qu’ils devoient avoir sur ce baillées à leurs gens, et tous les points et articles qui étoient pour lui, en condamnant le fait des Anglois, et ces lettres publier ens ès chambres et compagnies des seigneurs et de leur conseil, afin que ils en fussent mieux informés.

Tout en telle manière et à l’opposite faisoit le roi d’Angleterre ses remontrances et ses excusations en Allemagne, là où il pensoit que elles lui pussent aider et valoir. Le duc de Guerles, neveu au roi d’Angleterre, fils de sa sœur, et le duc de Juliers cousin germain à ses enfans, lesquels étoient pour le temps bons Anglois et loyaux, avoient pris en grand dépit l’ordonnance des défiances que le roi de France avoit faites faire par un garçon, et en reprenoient le roi de France et blâmoient grandement, et son conseil, quand par telle manière l’avoient fait ; car guerre de si grands seigneurs et renommés comme du roi de France et du roi d’Angleterre, devoit être ouverte et défiée par gens notables, tels que grands prélats, évêques, ou abbés ; et disoient que les François l’avoient conseillé au roi à faire, par grand’orgueil et présomption. Si envoyèrent les dessus dits défier le roi de France moult notablement ; et scellèrent plusieurs chevaliers d’Allemagne avec eux ; et étoit leur intention que d’entrer temprement en France, et d’y faire un si grand cram, que il y parût vingt ans après. Mais de ce ne firent-ils rien : car leur propos fut brisé par autre voie qu’ils ne cuidoient adonc, si comme vous orrez recorder avant en l’histoire.


CHAPITRE CCLXII.


Comment le duc de Bourgogne fut marié à la fille du comte de Flandre ; et comment le roi de Navarre s’allia au roi d’Angleterre.


Vous devez savoir, et avez ci-dessus ouï parler du grand pourchas que le roi d’Angleterre fit et mit par l’espace de cinq ans et plus, pour avoir la fille du comte de Flandre en mariage pour son fils monseigneur Aymon comte de Cantebruge. Les devises et les ordonnances en seroient trop longues à demener ; si m’en passerai briévement. Et sachez que oncques le roi d’Angleterre ne put tant exploiter par quelque voie ni moyen que ce fût, que le pape Urbain les voulsist dispenser. Si demeura ce mariage à faire. Le comte de Flandre qui étoit prié d’autre part du roi de France pour son frère le duc de Bourgogne, quand il vit que ce mariage ne passeroit point en Angleterre, et que sa fille demeureroit à marier, et si n’avoit plus d’enfans, entendit, par le promouvement de madame sa mère la comtesse d’Artois, au jeune duc de Bourgogne ; car c’étoit un grand mariage et haut, et bien pareil à lui. Si envoya grands messages en Angleterre pour traiter au dit roi quittances. Ceux qui envoyés y furent exploitèrent si bien que le roi d’Angleterre, qui ne vouloit que toute loyauté, quitta le comte de Flandre de toutes convenances ; et retournèrent les messages à Bruges et recordèrent au comte leur seigneur comment ils avoient exploité. De cet exploit fut le comte tout lie. Depuis ne demeura guères de temps que ce mariage se fît, de Flandre et de Bourgogne, parmi grants traités et conseils, convenances et alliances des uns aux autres. Et me fut adonc dit que le ccmte de Flandre, pour ce mariage laisser passer, reçut grand profit, plus de cent mille francs, et demeurèrent encore la ville de Lille et celle de Douay[1] à lui, en charge de grand argent que le dit roi donnoit à son frère en mariage et au comte de Flandre, qui prit la saisine et la possession des dessus dites villes et y mit ses gens ; et furent ces villes attribuées à Flandre pour cause de gage. Je n’en sçais plus avant.

Tantôt après cette ordonnance on procéda au mariage, qui se fit et confirma en la ville de Gand[2], et là eut grand’fête et grand’solemnité, au jour des noces, devant et après. Et y eut grand’foison de seigneurs, barons et chevaliers,

  1. Le comte de Flandre, outre ces deux places, eut encore Orchies. Il serait trop long de rapporter ici les clauses de ce traité, dont Froissart avoue de bonne foi qu’il ignorait les détails. On le trouve tout entier dans les Chroniques de France.
  2. Ce mariage fut célébré dans l’église Saint-Bavon de Gand, le 19 juin de cette année.