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LIVRE I. — PARTIE II.

Bertran et le sire de Cliçon ne sçussent tout ce que ils vouloient faire. Quand ils en furent informés, ils s’armèrent de nuit et se partirent avec leurs gens de leurs garnisons, et tournèrent sur les champs. Celle propre nuit étoient partis de leurs logis monseigneur Thomas de Grantson, messire Geffroy Oursellé, messire Gilbert Giffard, messire Guillaume de Neuville et les autres ; et venoient devers monseigneur Robert Canolle et monseigneur Alain de Bouqueselle sur un pas là où ils les espéroient à trouver : mais on leur escourcit leur chemin ; car droitement dans un lieu que on appelle le pas Pont-Volain[1] furent-ils rencontrés et rataindus des François ; et coururent sus et les envahirent soudainement ; et étoient bien quatre cents lances, et les Anglois deux cents. Là eut grand’bataille et dure, et bien combattue, et qui longuement dura, et fait de grands appertises d’armes, de l’un côté et de l’autre. Car sitôt qu’ils s’entretrouvèrent, ils mirent tous pied à terre et vinrent l’un sur l’autre moult arréement, et se combattirent de leurs lances et épées moult vaillamment. Toutes fois la place demeura aux François, et obtinrent contre les Anglois ; et furent tous morts et pris ; oncques ne s’en sauva, si il ne fût des varlets ou des garçons ; mais de ceux, aucuns, qui étoient montés sur les coursiers de leurs maîtres, quand ils virent la déconfiture, se sauvèrent et se partirent.

Là furent pris messire Thomas de Grantson, messire Gilbert Giffard, messire Geffroy Oursellé, messire Guillaume de Neuville, messire Philippe de Courtenay, messire Hue le Despensier, et plusieurs autres chevaliers et écuyers, et tous emmenés prisonniers en la cité du Mans. Ces nouvelles furent tantôt sçues parmi le pays, de monseigneur Robert Canolle et des autres, et aussi de monseigneur Hue de Cavrelée, et de monseigneur Robert Briquet et de leurs compagnons. Si en furent durement courroucés ; et brisa leur emprise pour celle aventure ; et ne vinrent ceux de Saint-Mor sur Loire point avant ; mais se tinrent tous cois en leurs logis ; et messire Robert Canolle et monseigneur Alain de Bouqueselle se retrairent tout bellement. Et se dérompit leur chevauchée, et rentrèrent en Bretagne ; ils n’en étoient point loin ; et vint le dit messire Robert à son châtel de Derval, et donna à toutes manières de gens d’armes et d’archers congé pour leur profit, là où ils le pourroient faire ni trouver. Si se retrairent les plusieurs en Angleterre dont ils étoient partis, et messire Alain de Bouqueselle s’en vint hiverner et demeurer en sa ville de Saint-Sauveur le Vicomte que le roi d’Angleterre lui avoit donnée.


CHAPITRE CCCXXIV.


Comment le pape Urbain mourut, et comment Grégoire XI fut élu en pape, dont le roi de France fut moult joyeux.


Après celle déconfiture de Pont-Volain, où une partie des Anglois furent rués jus, pourquoi leur chevauchée se dérompit et défit toute, messire Bertran du Guesclin, qui en sa nouvelleté de l’office de connétable de France se usoit, qui en eut grand’grâce et grand’recommandation, s’en vint en France et le sire de Cliçon avec lui, et emmenèrent la plus grand’partie de leurs prisonniers en leur compagnie en la cité de Paris. Là les y tinrent-ils tout aises sans danger, et les reçurent sur leur foi courtoisement, sans autre contrainte. Ils ne les mirent point en prison, en fers, ni en ceps, ainsi que les Allemands font leurs prisonniers, quand ils les tiennent, pour attraire plus grand’finance : maudits soient-ils ! ce sont gens sans pitié et sans honneur, et aussi on n’en devroit nul prendre à merci. Les François firent bonne compagnie à leurs prisonniers, et les rançonnèrent courtoisement sans eux trop gréver ni presser.

De l’avenue de Pont-Volain et du dommage des Anglois furent moult courroucés le prince de Galles, le duc de Lancastre et ceux de leur côté qui se tenoient à Congnac, après l’avenue et le reconquêt de Limoges.

En cet temps et environ Noël, trépassa de ce siècle en Avignon, le pape Urbain Ve[2], qui tant fut vaillant clerc, preud’om et bon François. Et adonc se mirent les cardinaux en conclave, et élurent entre eux un pape, et le firent par commun accord du cardinal de Beaufort ; et fut ce pape appelé Grégoire XI[3] de la création de divine providence. De lui fut durement lie le roi de France, pourtant qu’il le sentoit bon Fran-

  1. Pont-Valin, bourg de l’Anjou.
  2. Urbain V mourut le 19 décembre.
  3. L’élection de Grégoire XI se fit le 30 décembre.