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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Saint-Jean l’Angelier, en lui priant humblement et doucement que il voulsist entendre à conforter ; car le sire de Pons et Thibaut du Pont, et environ trois cents armures de fer l’avoient assiégée et la contraignoient durement. Le captal de Buch, comme courtois et vaillant chevalier, et qui toujours fut en grand désir et enclin de conforter dames et damoiselles, en quel parti que elles fussent, ainsi que tout noble et gentil homme de sang doivent être, si comme il aida et réconforta jadis, et se mit en grand danger et péril au marché de Meaux contre les Jacques bonhommes pour la roine de France, qui lors étoit duchoise de Normandie, répondit aux messages qui ces nouvelles lui apportèrent : « Retournez devers la dame de Soubise, et lui dites de par moi que elle se conforte, car je n’entendrai à autre chose, si l’aurai secourue et levé le siége, et me recommandez à li plus de cent fois. » Les messages furent tout lies de cette réponse ; et retournèrent à Soubise devers leur dame, et lui dirent tout ce qu’ils avoient eu et trouvé au captal. Si s’en réjouit grandement la dite dame, ce fut bien raison.

Le captal ne mit mie en non chaloir cette emprise ; et envoia tantôt devers le capitaine de Xaintes, messire Guillaume de Fernitonne, et manda messire Henry Haye senescal d’Angoulême, monseigneur Renaut seigneur de Marueil, neveu à monseigneur Raymon ; et à Niort monseigneur Thomas de Persi, Jean Cresuelle et David Hollegrave ; et à Luzignan monseigneur Petiton de Courton, monseigneur Gautier Huet et monseigneur Maurice Wist et plusieurs autres ; et s’assemblèrent tous ces gens d’armes en la ville de Saint-Jean.

Tout ce convenant et cette ordonnance sçut bien par ses espies qu’il avoit allans et venans, Yvain de Galles, qui se tenoit devant la Rochelle, et aussi le siége du seigneur de Pons qu’il avoit mis et tenoit devant Soubise. Si imagina le dit Yvain, qui fut moult appert et vaillant homme d’armes, que cette assemblée du captal se faisoit pour lever ce siége et ruer jus le seigneur de Pons et sa route. Si s’apensa qu’il y pourverroit de remède s’il pouvoit. Si tria tous les meilleurs hommes d’armes de sa navie par élection, et les trouva appareillés et obéissans à sa volonté, et fit tout son fait secrètement, et eut environ quatre cents armures de fer. Si les fit tous entrer par ordonnance ens ès treize barges qu’il avoit amenées d’Espaigne ; et se mit en l’une ; et nagèrent et ramèrent tant les maronniers que ils vinrent en l’embouchure de la Charente à l’opposite du chastel de Soubise, sans ce que le sire de Pons ni la dame de Soubise en sçussent rien ; et là se tinrent tout coy à l’ancre sur la dite rivière.

Le captal de Buch qui se tenoit à Saint-Jean l’Angelier et qui avoit fait son mandement de quatre cents hommes d’armes et plus, fut informé, ains son partement, que le sire de Pons en toute somme n’avoit devant Soubise non plus de cent lances. Si crut cette information trop légèrement, dont il fut déçu ; et renvoya la droite moitié de ses gens pour garder leurs forteresses ; et se partit de Saint-Jean atout deux cents lances tous des meilleurs à son avis, et chevaucha tant ce jour que il, sur la nuit, vint assez près de l’ost aux François qui rien n’en savoient de sa venue ; et descendit en un bosquet et fit tous ses gens descendre. Si restreindirent leurs armures et ressanglèrent leurs chevaux, et puis montèrent sans faire nul effroi ; et chevauchèrent tout coiment, tant qu’ils vinrent au logis du seigneur de Pons et des Bretons qui se tenoient tout asségurés ; et jà étoit moult tard. Evvous monseigneur le captal et sa route qui entrent sans dire mot ne faire trop grant noise en ces logis et commencent à ruer par terre tentes, trefs et feuillées, et à abbatre gens, occire et découper, et à prendre ! Là furent pris le sire de Pons, Thibaut du Pont, Alyot de Calais, et tous cils qui là étoient furent morts ou pris ; et en furent les Anglois si maîtres et seigneurs que tout fut leur pour cette heure.

Yvain de Galles, qui étoit à l’autre lez, à l’encontre de cet host outre la rivière, derrière le dit castel, tout pourvu et avisé quel chose il devoit faire, et qui savoit la venue dudit captal, avoit bien pris terre, et toutes ses gens aussi, qui bien étoient quatre cents combattans ; et là étoient monseigneur Jaques de Montmore et Morelet son frère ; et portoient ces gens d’armes grand’foison de falots et de tortis tout allumés, et s’en vinrent parderrière les logis où cils Anglois se tenoient, qui cuidoient avoir tout fait et tenoient leurs prisonniers dalès eux, ainsi que tous asségurés. Evvous le dit Yvain et sa route, qui étoit forte et épaisse et en grand’volonté de faire la