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LIVRE I. — PARTIE II.


CHAPITRE CCCLVI.


Des forteresses que messire Bertran du Guesclin prit en Rochelois.


Quand le connétable de France eut pris la saisine et la possession de la bonne ville de la Rochelle et il se fut retrait à Poitiers, si eurent conseil les seigneurs que ils se partiroient de là et viendroient devant aucuns châteaux qui étoient en la marche de la Rochelle ; par quoi la ville, s’ils se partoient du pays, demeureroit en plus grand’sureté ; car encore étoient Anglois Marant, Surgières et Fontenay le Comte ; et couroient tous les jours cils de ces garnisons jusques aux portes de la Rochelle, et leur faisoient moult de destourbiers. Si se départirent de Poitiers en grand arroy, le duc de Berry, le duc de Bourgogne, le duc de Bourbon, le Dauphin d’Auvergne, le sire de Sully, le connétable de France, les maréchaux de France et bien deux mille lances ; et s’en vinrent premièrement devant le châtel de Benon. Si en étoit capitaine, de par le captal, un écuyer d’honneur de la comté de Foix qui s’appeloit Guillaume de Pan, et un chevalier de Naples qui se nommoit messire Jacques, deux apperts hommes malement ; et avoient là dedans avec eux de bons compagnons qui ne furent mie trop effrayés quand cils seigneurs et le connétable les eurent assiégés ; mais se confortèrent en ce que bien leur sembloit qu’il étoit assez pourvu de vivres et d’artillerie. Si furent assaillis plusieurs fois ; mais trop bien se défendirent, ou de deux ou de trois assauts à ce commencement qu’ils eurent. Assez près de là sied la garnison de Surgières, où il avoit bien soixante lances d’Anglois, tous bons compagnons et droites gens d’armes : si se avisèrent un jour que, de nuit, ils viendroient réveiller l’ost des François, et s’aventureroient s’ils pouvoient rien conquérir. Si se départirent de leur fort quand il fut tout à vêpres, et chevauchèrent devers Benon, et se boutèrent environ mie-nuit en l’ost, et chevauchèrent si avant qu’ils vinrent sur le logis du connétable et là s’arrêtèrent. Si commencèrent à abattre et à découper, et blesser gens qui de ce ne se donnoient garde. Si en y eut moult de navrés et de mal appareillés ; et par espécial, du logis du connétable, fut occis un sien écuyer d’honneur que il aimoit outre mesure. L’ost s’estourmit et s’arma tantôt. Cils se retrairent quand ils virent que point fut et qu’ils eurent fait leur emprise, et retournèrent sans dommage en leur garnison. Quand le connétable sçut la vérité de son écuyer que tant aimoit, qui étoit mort, si fut tellement courroucé que plus ne put, et jura que jamais de là ne partiroit si auroit pris le châtel de Benon, et seroient sans merci tous cils morts qui dedans étoient. À lendemain, quand il eut fait enterrer son écuyer, il commanda toutes ses gens armer et venir avant à l’assaut ; et pour mieux exploiter, il s’arma et y alla. Là eut grand assaut et dur, et bien continué ; et tellement s’y éprouvèrent messire Bertran et ses gens, que le chàtel de Benon fut pris et conquis de force, et tous cils qui dedans étoient morts ou occis, sans nullui prendre à merci.

Après ce que le connétable de France eut fait son emprise du châtel de Benon et de tous ceux qui dedans étoient, il donna conseil de traire avant au châtel de Marant, à quatre lieues de la Rochelle. Du châtel de Marant étoit capitaine un Allemand qui s’appeloit Wîssebare, hardi homme malement, et avec lui avoit foison d’Allemands ; mais quand ils virent que cils seigneurs de France venoient si efforcément, et que rien ne duroit devant eux, et que cils de la Rochelle s’étoient tournés François, et que le connétable avoit tous mis à mort ceux du châtel de Benon, si furent si effréés que ils n’eurent volonté d’eux tenir, mais se rendirent, et la forteresse, et se tournèrent tous François, et le jurèrent à être de ce jour en avant, en la main du seigneur de Pons que le connétable y envoya pour prendre la saisine et la possession ; mais ils y mirent une condition, tant que on les voudroit payer de leurs gages, ainsi que les Anglois les avoient payés bien et courtoisement ; et si on en étoit en deffaute, ils se pouvoient partir sans nul reprochement. Si demeurèrent en cel état comme en devant pour tenir et garder la forteresse. Et puis passèrent les seigneurs outre et vinrent devant le châtei de Surgières. Quand ils furent là venus, ils le trouvèrent tout vuide et tout ouvert ; car les Anglois qui l’avoient gardé toute la saison, pour la doutance du connétable, s’en étoient partis et boutés en autres forteresses en Poitou. Si entrèrent les François dedans le châtel de Surgières. Quand ils furent là venus, ils le rafreschirent de nouvelles gens et puis chevauchèrent devant Fontenay le Comte, où la