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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Quand le roi de France ouït leurs articles et leurs requêtes, si leur en répondit moult doucement qu’il en auroit avis. Sur ce le dit roi s’en conseilla par plusieurs fois à plusieurs sages de son royaume, et tint là dalez lui moult longuement ceux de la Rochelle : mais finablement, de toutes leurs demandes il n’en put rien rabattre ; et convint que il leur accordât toutes, scellât et cancellât et confirmât pour tenir à perpétuité. Et se partirent du roi de France bien contens, chartres bullées et scellées, tout ainsi que ils le vouldrent avoir et deviser ; car le roi de France les désiroit moult à avoir en son obéissance, et recommandoit la ville de la Rochelle pour la plus notable ville que il eût par delà Paris ; et encore, à leur département, leur donna-t-il grands dons et beaux joyaux et riches présens pour reporter à leurs femmes. Donc ils se partirent du roi et de Paris et se mirent au retour.

Or retournèrent les bourgeois de la Rochelle en leur ville, qui avoient séjourné, tant à Paris que sur le chemin, bien deux mois. Si montrèrent à ceux qui là envoyés les avoient et à la communauté de la ville quelle chose ils avoient exploitées, et impétrée, sans nulle exception, toutes leurs demandes. De ce eurent-ils grand’joie, et se contentèrent grandement bien du roi et de son conseil. Ne demeura mie depuis trois jours que ils mirent ouvriers en œuvre, et firent abattre leur châtel, et mettre tout rès-à-rès de la terre, ni oncques n’y demeura pierre sur autre ; et l’assemblèrent là sur la place en un mont. Depuis en firent-ils ouvrer aux nécessités de la ville, et paver aucunes rues qui en devant en avoient grand métier.

Quand ils eurent ainsi fait, ils demandèrent au duc de Berry qu’il vînt là s’il lui plaisoit, et que on le recevroit volontiers au nom du roi de France, et feroient tout ce qu’ils devoient faire. Le duc de Berry y envoya monseigneur Bertran le connétable, qui avoit commission et procuration de prendre la possession pour le roi de France. Lors se départit de Poitiers à cent lances le dit connétable, à l’ordonnance du duc de Berry, et chevaucha tant qu’il vint en la ville de la Rochelle, où il fut reçu à grande joie, et montra de ce procuration du dit roi son seigneur, qui l’avoit établi ès parties de par de là comme son corps représentant. Si prit la foi et l’hommage des hommes de la ville, et y séjourna trois jours ; et lui furent faites toutes droitures ainsi comme proprement au roi, et y reçut grands dons et beaux présens, et aussi il en donna foison aux dames et aux damoiselles ; et quand il eut assez revellé et joué, il se partit de la Rochelle et retourna arrière à Poitiers[1].

Ne demeura guère de temps puis ce di que le roi de France envoya ses messages devers Yvain de Galles, en lui mandant et signifiant que il le verroit volontiers, et son prisonnier le captal de Buch. Encore ordonna le roi en ce voyage que l’amiral du roi Henry de Castille, Dam Radhigo de Rous, se partît à toute sa navie et retournât en Espagne ; car pour celle saison il ne les vouloit plus ensonnier. Ainsi se défit l’armée de la mer ; et retournèrent les Espaignois, et furent, ains leur département, tout sec payés de leurs gages, tant et si bien qu’ils s’en contentèrent grandement du roi de France et de son paiement. Et Yvain de Galles, au commandement et ordonnance du roi, prit le chemin de Paris, et lui amena le captal de Buch, dont le roi eut grand’joie et lequel bien connoissoit, car il l’avoit vu autrefois. Si lui fit grand’chère et lie, et le tint en prison courtoise sans nulle contrainte ; car volontiers l’eût retrait à son amour par quoi il fût retourné François. Et lui fit promettre et offrir grands dons, grands héritages et grands profits ; mais le captal n’y voult oncques entendre ; mais bien disoit aux barons et aux chevaliers de France qui le visitoient et qui de cela parloient, que il se rançonneroit volontiers et grandement, cinq ou six fois plus que sa revenue par an ne lui valoit. Mais le roi n’avait point conseil de ce faire : si demeura la chose en cel état, et fut de premier mis au châtel du Louvre, et là gardé bien et soigneusement ; et le visitoient souvent les barons et les chevaliers de France. Or reviendrons-nous aux besognes de Poitou qui n’étoient mie encore toutes finies.

  1. La Rochelle se rendit aux Français le 15 août 1372. Cascalès rapporte une lettre du roi Henri de Castille à la ville de Murcie, datée de Bénévent, 27 septembre, année 1410 (c’est-à-dire 1372, d’après notre calcul), et dans laquelle il annonce que La Rochelle venait de se rendre au roi de France, avec cinq autres villes et châteaux pour la fête de Notre-Dame d’août : Et dia de Nuestra-Señora de Agosto que agora pasò.