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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

seurs et gouverneurs son fils et le duc de Bretagne. Et devoient arriver au havène de Calais pour passer parmi Picardie ; et avoient intention, si le temps ne leur étoit contraire, que ils se mettroient entre la Loire et Saine, et s’en iroient rafraîchir en Normandie et en Bretagne, et conforteroient les forteresses qui se tenoient angloises, Becherel, Saint-Sauveur, Brest et Derval, et combattroient les François où que ce fût, si contre eux se vouloient mettre ni hâter de combattre. Dont, pour fournir et faire ce voyage, le roi d’Angleterre ordonna à faire toute la saison un aussi grand et aussi étoffé appareil que en grand temps on eût point vu en Angleterre pour passer la mer, tant que de belles et grosses pourvéances, de grand’foison de charroy qu’ils porteroient parmi le royaume de France tout ce qui leur seroit de nécessité, et par espécial moulins à la main pour moudre bleds et autres grains, si ils trouvoient les moulins perdus et brisés, et fours pour cuire, et toute ordonnance de guerre pour avoir appareil sans danger. Et me fut dit que, bien trois ans en devant, les Anglois avoient été sur ce voyage, comment que point ne fussent passés. Et cuida le duc de Lancastre passer, l’année que la bataille fut à Juliers du duc de Brabant contre le duc de Juliers et monseigneur Édouard de Guerles[1] ; car ses deux cousins de Juliers et de Guerles lui avoient offert tel confort que douze cents lances, chevaliers et écuyers, pour courir parmi le royaume de France jusques ès portes de Paris ; mais la mort de monseigneur de Guerles et l’ensonniement que le duc de Juliers eut pour cette besogne, et la mort et la prise des bons chevaliers qui furent d’une part et d’autre, retardèrent ce voyage qui point ne se fit à la première fois, ni à la première entente du roi d’Angleterre et du duc de Lancastre. Nequedent, toudis depuis, le duc de Lancastre et le roi d’Angleterre avoient entendu à faire les pourvéances si grandes et si belles que merveilles seroient à penser. Et mandoit le roi d’Angleterre partout gens là où il les pensoit à avoir par leurs deniers payer, en Flandres, en Hainaut, en Brabant et en Allemagne ; et eut le duc de Lancastre, de purs Escots, bien trois cents lances. Si venoient à Calais les étrangers qui mandés et priés étoient du roi, et là se tenoient attendans le passage des deux ducs de Lancastre et de Bretagne ; et là leur étoient payés et délivrés tous leurs gages pour six mois. Si passèrent tout bellement l’un après l’autre de Douvres à Calais les pourvéances des ducs et des barons d’Angleterre ; si ne furent mie ces choses sitôt achevées.

Entrues se hâtèrent les guerres de Bretagne, car le roi de France étoit tout certifié que les Anglois en celle saison efforcément passeroient en France. Si faisoit aussi pourvoir en Picardie cités, villes et châteaux très grossement ; car bien savoit que les Anglois prendroient leur chemin par là. Et fit commander sur le plat pays que chacun, dedans un terme qui mis y fut, eût retrait le sien ès forteresses, sur peine à être abandonné tout ce que on y trouveroit.

Encore se tenoit le siége du duc d’Anjou devant la Roche sur Yon, mais ils étoient si lointaîns de tous conforts que ils véoient bien que longuement ne se pouvoient tenir. Donc il advint que messire Robert Grenake, un chevalier anglois qui capitaine en étoit, se mit en composition devers les gens du duc ; car le dit duc se tenoit à Angers ; et fut la composition telle : que, si dedans un mois ils n’étoient confortés de gens forts assez pour lever le siége, ils rendroient la ville et le châtel et s’en partiroient, sauf le leur et leur corps ; et leur donneroit-on conduit jusques à Bordeaux. Cil terme expira ; nul ne vint pour conforter le châtel de la Roche sur Yon : si le rendirent les compagnons qui le tenoient aux gens du duc d’Anjou ; et s’en partirent messire Robert Grenake et les siens, et passèrent outre, et furent conduits jusques bien près de Bordeaux, ainsi que convent portoit. Si furent cils de Poitou et d’Anjou et du Maine, durement lies et réjouis du reconquêt de la Roche sur Yon.


CHAPITRE CCCLXVIII.


Comment la forteresse de Brest en Bretagne demeura en composition.


En ce temps avint en Bretagne que le sire de Cliçon, le vicomte de Rohan, le sire de Rochefort et le sire de Beaumanoir, se départirent du siége de Brest, une matinée, atout cinq cents lances, et chevauchèrent tant qu’ils vinrent à Conquêt, une petite forteresse sur mer de laquelle messire Jean de la Quinghay, un chevalier anglois et de l’hôtel du duc de Bretagne,

  1. Cette bataille se donna au mois d’août 1371.