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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

lettres étoit contenu tout l’état de Brest, et comment la journée étoit prise et acceptée des François pour eux combattre, ou de rendre le chastel de Brest ; laquelle chose il feroit moult envis, si amender le pouvoit. Quand il eut tout ce fait, il chargea les lettres à un sien chevalier et lui dit : « Entrez en une barge et nagez vers Garande ; je crois que là environ vous trouverez le comte de Salebrin et nos gens ; si lui donnez ces lettres et lui contez de bouche comment la chose va. » Le chevalier répondit qu’il étoit tout prêt ; et tant nagea que il trouva le comte de Salebrin, et toute sa navie où bien avoit six vingt vaisseaux d’une flote, sans les barges et les hokecos. Si lui montra ces lettres de monseigneur Robert, et lui conta avec tout ce, le fait où il alloit et qu’il avoit empris. Quand le comte de Salsiberich fut informé de ce, si dit que il seroit à la journée, s’il plaisoit à Dieu, et devant encore. Si ne fit nul lointain séjour, mais se désancra, et toute sa navie, et s’adressa pour venir à Brest. Et tant exploita, par le confort de Dieu et du vent, que il vint assez près de Brest ; et ancrèrent au havène de Brest, et puis avisèrent place et terre qui n’étoit mie trop loin de leur navie, où ils se mirent et ordonnèrent par batailles bien et faicitement ; et se trouvèrent bien deux mille combattans et autant d’archers. Si dirent entre eux que ils étoient forts assez pour attendre le connétable et sa puissance pour eux combattre. Ainsi se tenoient là les Anglois, qui montroient que ils vouloient tenir leur journée ; et tous les soirs retournoient en leur navie. Quand ils eurent là été environ six jours, et ils virent que nul ne venoit, ils prirent un héraut, et l’informèrent de ce que ils vouloient qu’il dît, et qu’il chevauchât vers le connétable et les François qui se tenoient en la marche de Nantes. Le héraut se départit de l’ost des Anglois, et tant s’exploita que il vint devers le connétable et le seigneur de Cliçon. Si fit son message bien et à point, et dit ainsi au seigneur : « Le comte de Salebrin et ses compagnons m’envoient devers vous et vous signifient que : il est venu à leur connaissance que une journée est prise devant Brest de monseigneur Robert Canolles et de vous, et ordonnance de bataille ; sachez que ils sont venus jusques à là, et vous attendent tout prêts pour combattre et de délivrer leurs ôtages et le châtel de Brest. Si vous mandent et prient que vous voulsiez traire avant, car vous serez combattu sans faute, ou si ne le voulez faire, et point ne le trouvez en votre conseil, si leurs renvoyez leurs ôtages. »

À cette parole répondit le connétable et n’y mit point trop longuement, et dit : « Héraut, vous nous apportez bonnes nouvelles, et vous soyez le bien-venu. Vous direz à vos maîtres, de par nous, que nous avons aussi grand désir, et plus, d’eux combattre qu’ils n’ont nous, mais ils ne sont mie en lieu ni en place où le traité fut premièrement pourgarlé et accordé. Si leur dites qu’ils se traient cette part, et sans faute ils seront combattus. »

Le héraut répondit que volontiers leur diroit.

Ainsi se partit et monta à cheval, et exploita tant que il vint en l’ost de ses maîtres, et leur fit cette réponse. Le comte de Salebrin pensa sur cette parole, et puis, se conseilla à ses compagnons ; car là étoient six ou sept barons de grand’prudence, le sire de Lusi, le sire de Neufville, monseigneur Philippe de Courtenay, messire Bryan de Stapletonne et les autres. Si se porta conseil entre eux, que le héraut retournât vers les François, et leur diroit de par eux : que c’étoit gens de mer qui n’avoient point leurs chevaux ; si n’étoit mie chose due ni raisonnable que ils allassent plus avant à pied ; mais si ils vouloient envoyer leurs chevaux ils trairoient vers eux volontiers ; et si ils ne vouloient faire ni l’une parçon ni l’autre, ils renvoyassent leurs ôtages ; car il y étoient tenus.

Le héraut partit de rechef de ses maîtres, et chevaucha tant que il vint devers le connétable qui tantôt le reconnut et qui lui demanda : « Héraut, quels nouvelles ? » — « Sire, si vous mandent ainsi par moi mes seigneurs et maîtres et disent : Ce sont gens de mer qui n’ont nuls de leur chevaux et qui mie ne sont usés de aller à pied trop loin ; si venez vers eux, ou leur envoyez vos chevaux, et ils viendront droit ci, ou en quelque place qu’il vous plaira, pour vous combattre et garder leur journée ; et si ce ne voulez faire, si leur renvoyez leurs ôtages, car ils disent que en avant vous n’avez chose du tenir. » Quand le connétable ouït cette parole, si en répondit tantôt et dit : « Héraut, nos chevaux nous besognent ; et n’est pas tant que à eux requête raisonnable ; si leur direz, bel ami, que nous ne ferons jà tel avantage à nos ennemis, si Dieu plaît, que nous