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LIVRE II.

le sire de Tournemine et plusieurs autres, toutes fleurs de gens d’armes, lesquels se pourvéirent moult sagement de tout ce qu’il leur falloit, tant à l’encontre de la rivière, que des portes, des murs et des tours qui regardent sur les champs de cette part où ils pensoient avoir le siége. Nous mettrons ces besognes un peu en répit, et parlerons de l’ordonnance du couronnement du jeune roi Charles, qui fut en celle saison couronné à Reims.


CHAPITRE LXXIV.


Comment le jeune roi Charles fut couronné roi de France, et des ordonnances qui se firent tantôt après son couronnement.


Vous devez savoir que rien ne fut épargné des nobles et des seigneuries à faire au couronnement du jeune roi Charles de France qui fut couronné à Reims le jour d’un dimanche[1], au douzième an de son âge, l’an de grâce mil trois cent quatre vingt. À la solennité de son couronnement ot grand’foison de grands seigneurs et hauts ; ses quatre oncles y furent, Anjou, Berry, Bourgogne et Bourbon ; et aussi ses grands oncles le duc Wincelins de Brabant, le duc de Bar, le duc de Lorraine, le comte de Savoye, le comte de la Marche, le comte d’Eu, messire Guillaume de Namur ; mais le comte de Flandre et le comte Jean de Blois s’excusèrent. Finablement il y eut si grand’foison de grands seigneurs que jamais je ne les aurois tous nommés. Et entra le jeune roi en la cité de Reims le samedi à heures de vêpres, bien accompagné de noblesses, de hauts seigneurs et de menestrandies ; et par espécial il avoit plus de trente trompettes devant lui qui sonnoient si clair que merveilles : et descendit le jeune roi Charles de France devant l’église Notre-Dame de Reims, ses oncles et son frère en sa compagnie. Là étoient ses cousins, tous jeunes enfans aussi, de Navarre, de Labret, de Bar, de Harecourt, et grand’foison d’autres jeunes écuyers, enfans de hauts barons du royaume de France, lesquels le jeune roi, à lendemain dimanche, le jour de son couronnement, fit tous chevaliers. Et ouït ce samedi ses vêpres le roi en l’église de Notre-Dame de Reims, et veilla en l’église, ainsi que usage est, la greigneur partie de la nuit ; et tous les enfans qui chevaliers vouloient être avec lui. Quand ce vint le dimanche, jour de la Toussaint, l’église Notre-Dame fut parée très richement, et si que on ne sauroit mieux ordonner ni deviser ; et là fut à haute solennité de la haute messe, de l’archevêque de Reims, sacré et béni. C’est de la Sainte Ampoule dont monseigneur Saint Remi consacra Clovis, premier roi chrétien qui fut en France ; et fut cette onction envoyée de Dieu et des cieux par un saint ange ; et depuis toujours les rois de France en ont été consacrés, et point n’amendrit. Or regardez si c’est noble et digne chose !

Avant la consécration le roi fit là devant l’autel tous les jeunes chevaliers nouveaux ; et en après fit-on l’office de la messe très solennellement et très révéremment, et la chanta l’archevêque de Reims. Et là séoit le jeune roi, en habit royal, en une chaire élevée moult haut, parée et vêtue de draps d’or, si très riches que on ne pouvoit avoir plus ; et tous les jeunes et nouveaux chevaliers dessous, sur bas échafauds couverts de draps d’or, à ses pieds.

Ainsi se persévéra l’office en grand’noblesse et dignité ; et là étoit le nouveau connétable de France, messire Olivier de Ciiçon, qui avoit été fait et créé connétable puis un peu[2], qui bien faisoit son office et ce que à lui appartenoit. Là étoient les hauts barons de France vêtus et parés si très richement que merveille seroit à recorder ; et séoit le roi en majesté royale, la couronne très riche et outre mesure précieuse au chef. L’église Notre-Dame de Reims fut à cette heure de la messe et de la solennité si pleine de nobles que on ne savoit son pied où tourner. Et entendis que adonc, au nouvel avénement du jeune roi, et pour réjouir le peuple parmi le royaume de France, toutes impositions, aides, gabelles, subsides, fouages et autres choses mal prises dont le royaume étoit trop blessé furent abattues et ôtées[3] ; et

  1. Le dimanche 4 novembre 1380.
  2. Les lettres patentes qui créent Clisson maréchal de France ne sont que du 28 novembre 1380.
  3. Ce récit n’est pas tout-à-fait exact. Ces impôts ne furent pas supprimés à l’avénement de Charles VI, mais après son retour à Paris et par suite d’une sédition du peuple qui s’était déjà soulevé avant le départ du jeune roi pour Reims, pendant la régence de Louis duc d’Anjou. Cette seconde sédition parut si sérieuse que le lendemain, 16 novembre 1380, parut une ordonnance qui