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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

fut grandement à la contemplation et plaisance du peuple. Après la messe on vint au palais ; et pour ce que la salle étoit trop petite pour recevoir tel peuple, on avoit, en-my la cour du palais où il y a grand’place, tendu un haut et grand tref sur hautes estaches, et là fut le dîner fait et ordonné. Et s’assist le jeune roi Charles et ses quatre oncles, Anjou, Berry, Bourgogne et Bourbon, et avec eux son grand oncle Brabant à sa table et bien en sus de lui. L’archevêque de Reims et autres prélats séoient à dextre ; et servoient hauts barons ; le sire de Coucy, le sire de Cliçon, messire Guy de la Trémoille, l’amiral de la mer[1] et ainsi des autres, sur hauts destriers couverts de drap d’or. Ainsi se continua en tous états et honneurs la journée ; et au lendemain, le lundi, moult de hauts barons prirent congé au roi et à ses oncles et s’en retournèrent en leur pays. Si vint le roi ce jour dîner en l’abbaye de Saint-Thierry, à deux lieues de Reims ; car ceux de léans lui doivent ce pas[2], et ceux de la cité de Reims le sacre du roi. Ainsi se départit cette haute et noble fête de la consécration du jeune roi Charles de France. Et s’en vint le roi à Paris où il fut des Parisiens de rechef à son retour et à l’entrer à Paris très grandement fêté. Après toutes ces fêtes, ces solennités et honneurs, il y eut grands conseils en France sur l’état et gouvernement du royaume ; et fut ordonné que le duc de Berry auroit le gouvernement de tout Languedoc[3], le duc de Bourgogne de toute Picardie et Normandie, et le duc d’Anjou demeureroit de-lez le roi son neveu et auroit principaument et royalement l’administration et gouvernement du royaume. Adonc fut le comte de Saint-Pol rappelé, qui paravant avoit été éloigné de la grâce du roi Charles qui étoit trépassé ; et lui fit à Reims le duc Wincelins de Brabant sa besogne, et le duc d’Anjou aussi, en laquelle grâce et amour le comte de Saint-Pol étoit moult grandement. Si se départit de Ham sur Eure, séant en l’évêché du Liége, où il s’étoit tenu un grand temps, et revint en France et ramena sa femme au chastel de Bouhain. Et se déportèrent toutes les mains-mises de ses terres, et retournèrent toutes en son profit. Nous nous souffrirons un petit à parler des besognes dessus dites et retournerons aux incidences de Bretagne et au comte de Bouquinghen.


CHAPITRE LXXV.


Comment le comte de Bouquinghen mit le siége devant Nantes en Bretagne, et de plusieurs saillies et escarmouches durant le siége, et comment le dit comte s’en alla sans rien faire.


Vous savez comment les convenances et ordonnances furent prises et jurées entre le duc de Bretagne et le comte de Bouquinghen, de venir assiéger Nantes. Quand le duc de Bretagne fut parti de Rennes, le seigneur de Mont-Bourchier, messire Étienne Guyon, le seigneur de Mont-Raulieu, le seigneur de la Houssoye et son conseil en sa compagnie, ils se trairent vers Vennes et vers Hainbont. Et le comte de Bouquinghen et les siens s’ordonnèrent pour venir devant Nantes, et se départirent des faubourgs de Rennes et des villages là environ là où ils étoient logés, et s’en vinrent ce jour loger à Chastillon ; et à lendemain à Bain, et le tiers jour ce fut à Nossay, et au quart jour ils vinrent loger ès faubourgs de Nantes. Et fut le comte de Bouquinghen logé à la porte de Sauvetout, et le sire de Latimer connétable de l’ost et le sire de Fit-Vatier et le sire de Basset furent logés à la porte Saint-Pierre ; et messire Robert Kanolle et messire Thomas de Percy furent logés à la porte de Saint-Nicolas, tout sur la rivière ; et messire Guillaume de Vindesore et messire Hue de Cavrelée à la poterne de Richebourg. Ainsi étoient les barons logés entre leurs gens et moult honorablement, car c’étoit au plus près par raison comme ils pouvoient. Par dedans la ville avoit grand’foison de bons chevaliers et écuyers de Bretagne, de Beausse, d’Anjou et du Maine qui s’ensoignoient de la ville et la gardoient très bien ; et en avoient du tout le fait et la charge, ni ceux de la ville ne s’en ensoignoient de rien. Et avint que la nuit Saint-Martin, messire Jean le Barrois des Barres émut aucuns de ses compagnons qui là dedans

    révoquait toutes les aides et autres impositions extraordinaires levées depuis le règne de Philippe-le-Bel.

  1. Jean de Vienne, seigneur de Rollans, était alors amiral de France.
  2. Tout alors était fief et redevance. La charge même de lecteur du roi fut établie en fief.
  3. Le duc de Berri fut fait lieutenant du roi dans le Languedoc, le Berri, le Poitou et l’Auvergne, avec des pouvoirs très amples, par lettres-patentes datées du 19 novembre.