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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/125

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LIVRE II.

étoient et leur dit : « Beaux seigneurs, nous sentons nos ennemis près de ci, et encore ne les avons nous point réveillés : je conseille que en la bonne nuit de huy nous les allions voir et escarmoucher. » — « Par ma foi, répondirent ceux à qui il en parla, vous parlez loyaument, et dites ce que nous devons faire, et nous le voulons. » Adonc se cueillirent-ils sur le soir et se armèrent eux six vingt, tous gens de fait ; si firent ouvrir la porte de Saint-Pierre où le connétable et le sire de Basset et le sire de Fit-Vatier étoient logés, et mirent bonnes gardes à la porte pour la retraite. Si étoient capitaines de ces gens d’armes le Barrois des Barres, Jean de Châtel-Morant et le capitaine de Cliçon ; et vinrent si à point au logis des dessus dits que ils séoient au souper ; et crièrent leur cri : Les Barres ! Si entrèrent ès logis et commencèrent à férir et abattre et à meshaignier gens. Tantôt les Anglois furent saillis sus et pourvus de leur fait, et se rangèrent devant leur logis. Quand les François en virent la manière ils se retrairent et tinrent tous ensemble moult sagement, et retournèrent vers leur ville ; et Anglois de toutes parts commencèrent à venir à l’escarmouche. Là en y eut de boutés et reboutés et d’abattus d’une part et d’autre ; et furent mis les François en leurs barrières : si en y eut des morts et des blessés d’une part et d’autre ; mais le Barrois des Barres et ses gens rentrèrent en la ville à petit dommage ; et tint-on dedans et dehors celle escarmouche à bonne et belle.

Quand ce vint le jour Saint-Martin au soir, le Barrois des Barres parla aux compagnons, et leur dit : « Ce seroit bon que demain au point du jour nous issions, pourvus de six ou sept gros bateaux et deux cents hommes d’armes et cent arbalêtriers, et par la rivière nous alissions visiter nos ennemis ; ils ne se donnent garde de nous de ce côté. » Tous furent de son accord ; et se cueillirent cette propre nuit la somme de gens que le Barrois avoit nommé, et eurent pourvus six gros bateaux devant le jour. Ils entrèrent ens, sans faire freinte, et nagèrent contreval la rivière, et prindrent terre au dessous des logis. Messire Jean de Harleston et ses gens étoient logés assez près de là en un grand hôtel. Là vinrent sur le point du jour les François, qui l’environnèrent et commencèrent à assaillir. Messire Jean Harleston fut tantôt appareillé et armé, et aussi furent toutes ses gens ; si se mirent à défense moult vaillamment, et archers à traire contre les arbalêtriers. Là eut escarmouche fière et dure, et des navrés et des blessés ; et vous dis bien que l’hôtel eût été pris et conquis, mais messire Robert Canolle, qui étoit logé assez près, le sçut ; si s’arma et fit armer ses gens, et développer sa bannière, et se trairent moult coiment celle part. D’autre part messire Guillaume de Vindesore, qui en fut signifié et avisé, et ses gens, y vinrent tout le cours ; et toujours venoient Anglois et sourdoient de tous côtés. Adonc se retrairent les François sur le rivage et vers leurs bateaux, quand ils virent que faire le convenoit, ou recevoir grand dommage. Là eut sur le rivage au retour ens ès bateaux grand escarmouche ; et moult vaillamment se portèrent les capitaines et y firent grandes appertises d’armes, et furent auques des derniers entrés. Toutefois il y en eut au rentrer des François pris, morts et noyés, et retournèrent à Nantes. Encore tinrent cette emprise, ceux qui en ouïrent parler d’une part et d’autre, à grand hardiment et à grand’vaillance.


CHAPITRE LXXVI.


Des empéchemens que le duc de Bretagne avoit lors, pourquoi il ne pouvoit venir au siége de Nantes ; et des escarmouches qui là se faisoient.


Quand les Anglois aperçurent que ceux de dedans les réveilloient si souvent, si eurent conseil entre eux que ils seroient mieux sur leur garde que ils n’avoient été, et feroient bon guet : dont il avint une nuit, le septième jour après que messire le Barrois avoit escarmouché sur la rivière, il issit de rechef sur la nuit à la porte où le comte de Bouquinghen étoit logé ; et avoit le Barrois en sa compagnie environ deux cents hommes d’armes et cent arbalêtriers. Cette nuit faisoient guet les Allemands, et étoient leurs capitaines messire Alchart et messire Thomas de Rodes. Si s’en vinrent férir les gens du Barrois, et il même tout devant, et Jean de Chastel-Morant, et le capitaine de Cliçon, sur ce guet entre ces Allemands. Là eut grand’escarmouche et dure, et des abatus à terre : adonc se levèrent ceux qui couchés étoient au logis du comte, et s’armèrent et se trairent tous de celle part où l’escarmouche étoit. Quand le Barrois des Barres, et ceux qui avec lui étoient, s’aperçurent que