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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

cents lances et autant d’archers, un moult vaillant chevalier qui s’appeloit messire Thomas Mousegrave. Si se départirent ces gens d’armes de l’ost, et prirent le chemin les uns à dextre et les autres à senestre ; et chevauchèrent tant messire Thomas et son fils que ils vinrent à Mauros ; et là se logèrent de haute heure pour rafreschir eux et leurs chevaux et pour enquérir justement où les Escots étoient ; et envoyèrent deux écuyers des leurs, bien montés, pour chevaucher sur le pays à savoir du convenant des Escots, ni où ils se tenoient.

Ces deux écuyers, quand ils se furent partis de leurs maîtres, chevauchèrent tant que ils s’embatirent sur une embuche des Escots, desquels messire Guillaume de Lindesée étoit chef ; et se tenoit là à l’aventure pour ouïr nouvelles de Bervich et de son neveu Alexandre Ramesay en quel parti il pouvoit être des Anglois, et moult le désiroit à savoir ; et pouvoit avoir avecques lui environ quarante lances. Sitôt que les Anglois furent entrés en leur embuche ils furent happés ; dont le chevalier eut grand’joye, et leur demanda de quelle part ils venoient. Envis parloient pour découvrir le fait de leurs maîtres ; mais parler leur convint ; car le chevalier leur promit que il leur touldroit les têtes si ils ne disoient vérité de tout ce que on leur demanderoit. Quand ce vint au fort et ils virent que autrement ils ne pouvoient finer, ils parlèrent et recordèrent comment le châtel de Bervich étoit reconquis, et tous ceux qui dedans avoient été trouvés morts, excepté Alexandre Ramesay ; et après comment le comte de Northombrelande et le comte de Nothingen chevauchoient à mont la Tuide pour trouver les Escots, et comment messire Thomas Mousegrave et son fils, et messire Jean Asneton et messire Richard Baiton et bien trois cents lances et autant d’archers étoient logés et arrêtés en l’abbaye de Mauros. Et puis recordèrent comment de ces chevaliers ils étoient envoyés sur le pays, pour savoir justement où les Escots se tenoient. « Par ma foi ! répondit messire Guillaume de Lindesée, vous nous avez trouvés, mais vous demeurerez avecques nous. »

Lors furent traits d’une part, et renchargés aux compagnons sur les têtes que bien ils les gardassent ; et tantôt il fit partir un homme d’armes de sa route et lui dit : « Chevauchez devers nos gens, et leur dites tout ce que vous avez ouï et le convenant des Anglois ; et je me tiendrai ci jusques au soir pour savoir si autres nouvelles nous viendront. » Cil homme d’armes se partit, et chevaucha tant que il vint en un gros village outre la Morlane, que on dit Houdebray, et siéd sur la Tuide entre les montagnes ; et là a grand’prairie et bon pays et gras ; et pour ce s’y tenoient les Escots. Sur le soir vint là l’écuyer et trouva là le comte de Douglas, le comte de Moret, le comte de Surlant, messire Arcebault Douglas et les autres. Sitôt que il fut venu on sut bien que il apportoit nouvelles : si fut mené devers les seigneurs, auxquels il recorda toute l’affaire, ainsi que vous avez ouï.


CHAPITRE XVII.


Comment les Anglois qui avoient pris le château de Bervich furent par les Escots déconfits, et y fut pris prisonnier messire Thomas Mousegrave.


Quand les chevaliers Escots entendirent que le châtel de Bervich étoit repris des Anglois, si furent grandement courroucés ; mais ce les réconforta que messire Thomas Mousegrave et les chevaliers et écuyers dessus la rivière de Hombre étoient logés à Mauros assez en jeu parti. Si ordonnèrent que sur ces nouvelles ils se départiroient de là, et iroient déloger leurs ennemis et reconquérir aucune chose de leurs dommages. Si s’armèrent, et sellèrent leurs chevaux, et se départirent tout de nuit de Houdebray, et chevauchèrent devers Mauros à l’adresse ; car bien connoissoient le pays ; et furent là venus environ mi-nuit. Mais il commença à pleuvoir une pluie si grosse et unie, et monta un vent si froid qui les frappa parmi les visages, qu’il n’y avoit si fort qui ne fût si battu de pluie et de vent que à peine pouvoient-ils tenir leurs chevaux ; et les pages, de froid et de mal-aise, ne pouvoient porter les lances, mais les laissoient cheoir ; et se déroutoient l’un de l’autre et perdoient leur chemin. Adonc s’arrêtèrent les guides par le commandement du connétable, tous cois à l’encontre d’un grand bois, parmi où il les convenoit passer ; car aucuns chevaliers et écuyers et bien usés d’armes qui là étoient disoient que ils chevauchoient follement, et ce n’étoit mie état de chevaucher ainsi par tel temps et à telle heure ; et que plus y pouvoient perdre que gagner. Si se quatirent et esconsèrent eux et leurs chevaux dessous chênes et grands arbres, tant