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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/23

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LIVRE II.

que le jour fut venu ; et les autres qui tous engelés étoient et tous hors mouillés faisoient grands feux pour eux ressuer et réchauffer ; mais ainçois que ils pussent venir au feu ils eurent trop de peine ; et toutefois de fusils[1] et de secs bois ils en firent tant que ils en eurent assez en plusieurs lieux. Et dura cette pluie et cette froidure jusques à soleil levant ; et toujours pluvina jusques à prime.

Entre prime et tierce se commença le jour à réchauffer et le soleil à luire et à monter, et les aloës[2] à chanter. Adonc se trairent ensemble les capitaines pour conseiller quel chose ils feroient ; car ils avoient failli à leur entente à venir de nuit à Mauros. Si fut conseillé que ils se déjeuneroient là sur les champs de ce que ils avoient, et se rafraîchiroient eux et leurs chevaux et envoieroient leurs gens fourrager sur leur pays. Ainsi fut fait comme il fut ordonné ; et se partirent la greigneur partie de leurs varlets fourrageurs, et s’épardirent sur le pays et ens ès villages voisins. Si rapportèrent les plusieurs foins et avoines pour leurs chevaux et vivres assez pour leurs maîtres.

D’autre part les fourrageurs anglois qui en l’abbaye de Mauros étoient logés, pour trouver vivres, avoient ce matin chevauché si avant que les aucuns fourrageurs anglois et escots se trouvèrent ; et ne l’eurent mie les varlets anglois d’avantage ; mais en y eut en ce rencontre des morts et des blessés, et des battus, et des fourrages perdus, et tant que les nouvelles en vinrent à messire Thomas Mousegrave et aux chevaliers d’Angleterre qui à Mauros étoient. Donc dirent-ils que les Escots n’étoient pas loin de là : si sonnèrent leurs trompettes et firent enseller leurs chevaux, et s’armèrent et eurent conseil de eux tous traire sur les champs. Aussi furent avisés de eux les chevaliers d’Escosse par leurs fourrageurs ; si se hâtèrent du plus tôt qu’ils purent de rafraîchir eux et leurs chevaux, et puis eux mettre en ordonnance de bataille au long de ces bois et tout à la couverte. Si étoient bien sept cents lances et deux mille d’autres gens, que nous appellerons d’ores-en-avant gros varlets, à lances, à haches et à bâtons d’armes ; et disoient ainsi messire Arcebault Douglas et le comte de Douglas son cousin : « Et ne peut nullement demeurer que nous ne ayons besogne ; car les Anglois chevauchent ou chevaucheront à cette remontée. Si soyons sur notre garde et les combattons si nous les véons à jeu parti. » Adonc ordonnèrent deux de leurs hommes d’armes à courir pour découvrir les Anglois et savoir leur convenant ; et se tinrent tous cois en leur embûche.


CHAPITRE XVIII.


Comment messire Thomas Mousegrave et les Anglois furent déconfits par les Escots.


Messire Thomas Mousegrave et les chevaliers de Northombrelande, qui moult désiroient à jeu parti trouver les Escots, si se partirent de Mauros et prirent le chemin de la Morlane et laissèrent la rivière de Tuide à la senestre main et montèrent amont vers une montagne que on claime Saint-Gilles. Là étoient les deux coureurs d’Escosse, qui trop bien avisèrent les Anglois, et qui tantôt se partirent et retournèrent à leurs maîtres, et leur dirent le convenant et comment ils chevauchoient, et n’y avoient avisé que trois bannières et dix pennons. De ces nouvelles furent les Escots tous réjouis et dirent de grand’volonté : « Chevauchons vers eux, au nom de Dieu et de Saint George ; car ils sont nôtres. » Adonc prirent-ils un cry ; et me semble que tous devoient cryer : Douglas ! Saint Gilles ! pour la cause de la place et de la montagne. Ils n’eurent pas chevauché demi-lieue quand ils virent leurs ennemis ; et les Anglois eux. Donc connurent une partie et l’autre que combattre les convenoit : si fit le comte de Douglas son fils messire Jacques chevalier, et lui fit lever bannière ; et là fit deux chevaliers des fils du roi d’Escosse, messire Robert et messire David ; et tous deux levèrent bannière : et y fut fait sur la place environ trente chevaliers de la partie des Escots, et un chevalier de Suède qui s’appeloit messire George de Vesmede et porte un écu d’argent à un fer de moulin et une bordure endentelée de gueules, et crie : Mesonde ! D’autre part messire Thomas Mousegrave fit son fils messire Thomas chevalier et autres de son hôtel : aussi firent le sire de Staffort et le sire de Grascop. Si ordonnèrent leurs archers et mirent sur aile et fut ce jour le cry des Anglois : Notre Dame ! Arleton ! Là commença ce rencontre grand et fort, et archers à

  1. Charbon tendre, d’où fusin.
  2. Alouettes.