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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/24

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

traire et à ensonnier gens d’armes, mais toutes fois les Escots étoient grand’foison : si ne purent les archers partout entendre. Là eut fait entre ces chevaliers et écuyers de l’une partie et de l’autre mainte joute et mainte belle appertise d’armes, et plusieurs hommes renversés jus de leurs chevaux, et faite mainte prise et mainte rescousse. Dès la première venue, messire Arcebault Douglas, qui étoit grand chevalier et durement à douter et ressoingnié de ses ennemis, quand il dut approcher il mit pied à terre et prit à son usage une longue épée qui avoit deux aunes. À peine la pût un autre homme lever sus de terre ; mais elle ne lui coûtoit néant à manier, et en donnoit les coups si grands que tout ce qu’il aconsuivoit il mettoit par terre ; et n’y avoit si osé ni si hardi de la partie des Anglois qui ne ressoignoit ses coups.

Là eut belle bataille et dure, et bien combattue de ce qu’elle dura ; mais ce ne fut pas plenté ; car les Escots étoient trois contre un, et tous gens de fait ; je ne dis mie que les Anglois ne se portassent bien et vaillamment, mais finablement ils furent déconfits, et obtinrent les Escots la place, et furent pris messire Thomas Mousegrave et son fils, et plusieurs chevaliers et écuyers, et eurent les Escots bien six vingt bons prisonniers ; et dura la chasse jusques à la rivière de Tuide, et là y en eut mort grand’plenté. Si se retrairent les Escots après cette déconfiture sur leur pays, et eurent conseil qu’ils s’en iroient tous devers Haindebourch ; car ils savoient par leurs prisonniers que le comte de Northombrelande et le comte de Northinghem étoient sur le pays par delà la Tuide sur le chemin de Rosebourch ; et étoient gens assez pour combattre les Escots et toute leur puissance : pourquoi leur chevauchée se pouvoit bien dérompre pour eux traire à sauveté et garder leurs prisonniers. De cette chose faire et du retraire sus ce jour furent-ils trop bien conseillés ; car si ce soir ils fussent revenus à leurs logis ils fussent en aventure d’être tous rués jus comme je vous dirai.


CHAPITRE XIX.


Comment l’armée du comte de Northombrelande fut rompue, et du trépas de la roine de France et de la roine de Navarre, et de plusieurs autres incidens.


Le comte de Northomhrelande et le comte de Nortinghen et les barons d’Angleterre, quand il se partirent de Bervich et de messire Thomas Mousegrave et ils furent venus sur les champs à l’encontre de Rosebourch, ils furent informés par leurs espies que les Escots qu’ils demandoient à trouver et combattre étoient logés à Houdebray, dont ils étoient tous réjouis ; et avoient jeté leur avis que de nuit ils viendroient les escarmoucher et viendroient là celle propre nuit que s’en étoient partis les Escots. Mais il plut si fort que ils ne purent parfournir leur emprise et se logèrent ens ès bois jusques à lendemain ; et quand ce vint au jour de rechef ils envoyèrent leurs espies à savoir où les Escots se tenoient ; et ceux qui envoyés y furent rapportèrent que les Escots s’en étoient partis et ils n’en avoient nuls trouvés. Adonc eurent-ils conseil que ils se trairoient vers Mauros pour là ouïr nouvelles de messire Thomas Mousegrave et de leurs compagnons.

Quand ils se furent dînés, ils chevauchèrent tous contreval la rivière de Tuide en devant vers Mauros, et avoient envoyé leurs coureurs courir de là l’eau à savoir si nulles nouvelles y trouveroient.

Après la déconfiture du champ Saint-Gilles que je vous ai dite, ces coureurs trouvèrent de leurs gens qui fuyoient ainsi que des gens déconfits. Si recordèrent de la bataille ce qu’ils en savoient. Adonc retournèrent ces coureurs, et avoient avec eux les fuyans : si leur recordèrent la vérité des Anglois et des Escots et de la bataille. Bien savoient que leurs gens étoient déconfits ; mais fis ne pouvoient savoir lesquels étoient ni morts ni pris. Quand ces seigneurs de Northombrelande et de Northinghen entendirent ces nouvelles, si furent plus pensifs que devant, et à bonne cause ; car ils étoient courroucés par deux raisons, l’une pour ce que leurs gens avoient perdus ; l’autre, que point n’avoient trouvé les Escots que tant désiroient à combattre. Si eurent là sur les champs de poursuivre très grand conseil ; mais ils ne savoient lequel chemin les Escots tenoient ; et si approchoit le