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[1378]
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LIVRE II.

vêpre. Si que, tout considéré, ils setrairent à Mauros, et là se logèrent.

Ils ne purent oncques sitôt venir à Mauros que les nouvelles leur vinrent véritables de la bataille, que messire Thomas Mousegrave et son fils et bien six vingt hommes d’armes étoient pris, et les emmenoient les Escots et s’en alloient devers Haindebourch. Ces barons de Northombrelande virent bien que ce dommage leur convenoit porter, et que pour le présent ils ne le pouvoient amender ; si passèrent la nuit au mieux qu’ils purent, et à lendemain se délogèrent ; et donna le sire de Percy comte de Northombrelande congé à toute manière de gens de soi retraire chacun en son lieu ; et il même se retray en son pays et ainsi se dérompit cette chevauchée, et les Escots aussi s’en retournèrent, à Haindebourch les aucuns. Le comte de Douglas et son fils demeurèrent sur le chemin en son châtel à Dalquest. Si fut grand’nouvelle parmi Escosse de cette besogne et de la belle journée que leur gens avoient eue : si jouirent chevaliers et écuyers paisiblement de leurs prisonniers et les rançonnèrent paisiblement et courtoisement, et finèrent tout au mieux qu’ils purent. Nous nous souffrirons à parler pour le présent des Escots, et parlerons d’autres incidences qui avinrent en France.

En ce temps trépassa, le sixième jour de février mil trois cent soixante dix-sept[1], la roine de France, et par sa coulpe même, ce disoient les médecins ; car elle gissoit d’enfant, de madame Catherine sa fille qui puis fut duchesse de Berry ; car elle eut à mari Jean de Berry fils au duc de Berry[2] : la roine, si comme je vous dis, en celle gesine n’étoit pas bien haitiée, et lui avoient les maîtres défendu les bains, car ils lui étoient contraires et périlleux : nonobstant tout ce elle se voulsit baigner et se baigna, et là commença à avoir le mal de la mort[3]. Si demeura le roi Charles de France vefve, ni oncques depuis ne se maria.

Après le trépassement de la roine de France trépassa la roine de Navarre[4], sœur germaine

  1. 1378, nouveau style.
  2. La princesse Catherine n’a jamais été duchesse de Berri. Elle fut accordée le 20 février 1379 à Rupert de Bavière, depuis comte palatin du Rhin et empereur, ce qui n’eut pas d’effet, et elle épousa le 5 août 1386, Jean de Berri, comte de Montpensier, mort du vivant de Jean, duc de Berri, son père. La princesse Catherine mourut en octobre 1388, et fut enterrée en l’abbaye de Maubuisson.
  3. Jeanne de Bourbon, reine de France, femme de Charles V, mourut en couche, à Paris, en l’hôtel de Saint-Paul, un samedi 6 février 1378, que l’on comptait alors 1377. Froissait est le seul écrivain du temps qui attribue sa mort à l’imprudence d’avoir voulu prendre le bain, et comme cet endroit du texte est rempli de fautes, il peut se faire qu’il ait été altéré et que l’on ait confondu la cause de la mort de la reine Jeanne de Bourbon avec celle de la mort de Jeanne de France, reine de Navarre, dont on parlera dans la note suivante.
  4. 1o Froissart dit ici que Jeanne de France, reine de Navarre, n’est morte qu’après Catherine de Bourbon, reine de France, décédée le 6 février 1378 ; les grandes Chroniques de France et la continuation de la Chronique française de Guillaume de Nangis placent cette mort le 3 novembre 1373. Le Brasseur, dans son Histoire d’Évreux, page 256, dit que cette princesse mourut sur la fin de novembre 1373. Mariana, son traducteur, le P. Charenton, Jésuite, et Garibay, disent que la reine de Navarre décéda le 3 novembre 1374. Toutes ces dates sont antérieures, et de plusieurs années, à la mort de Jeanne de Bourbon, en 1378 : il est vrai que, selon l’Histoire généalogique de la maison de France, page 286 du tome Ier, imprimé en 1726, on lisait sur une tombe de l’église de Notre-Dame d’Évreux, qui porte le nom de cette princesse, mais dont l’écriture était à demi effacée, la date de 1378. Mais puisque les chroniques du temps et l’historien d’Évreux donnent à la mort de la reine de Navarre une date antérieure de plusieurs années à celle de 1373, il est naturel de penser que quelqu’un aura mis la date M.CCC.LXXIII de cette tombe, dont l’écriture était usée, pour M.CCC.LXXVIII, et en effet tous les historiens modernes s’en sont tenus à la date de 1373.

    2o Les historiens ne sont pas d’accord sur le lieu de la sépulture de la reine de Navarre, dont les chroniques du temps ne parlent point : l’Histoire généalogique de la maison de France la dit enterrée à Saint-Denis, en France, d’après un compte d’Édouard Tadelin, communiqué par M. d’Hérouval ; Mariana et son traducteur le disent également ; Le Brasseur, au contraire, dit que cette princesse, morte à Évreux, a été inhumée dans la cathédrale de cette ville, et son cœur dans la grande église de Pampelune ; et l’inscription à moitié usée de la tombe de cette princesse, dans l’église d’Évreux, ne permet pas de douter qu’elle n’y soit inhumée. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’aucun monument ou renseignement de l’abbaye de Saint-Denis ne fait mention de sa sépulture, et que les Chroniques de Saint-Denis et la continuation de la Chronique française de Nangis, écrites par des religieux de Saint-Denis qui n’oublient rien des événemens qui concernent leur église, ne parlent point du lieu de la sépulture de la reine de Navarre ; et si elle eût été enterrée à Saint-Denis, ils n’auraient pas manqué d’en faire mention.

    Ainsi le témoignage de Mariana, auteur espagnol, ne paraît pas suffisant pour affirmer que la reine de Navarre ait été inhumée ailleurs qu’à Évreux où elle est décédée. Quant au compte de Tadelin, il y a apparence qu’on ne l’aura pas examiné d’assez près, et qu’on aura appliqué à la reine de Navarre, femme de Charles-le-Mauvais, ce qui concernait une autre reine de Navarre enterrée à Saint-