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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/245

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LIVRE II.

La boue jus de la chaussée aval Comines étoit si grande que toutes gens y entroient jusques en-my la jambe. Ces gens d’armes de France qui étoient usagés ès faits d’armes vous commencèrent à abattre ces Flamands, à renverser sans déport et à occire. Là crioit-on Saint-Py ! Laval ! Sancerre ! Enghien ! Antoing ! Vertaing ! Sconnevort ! Saumes ! Hallewyn ! et tous cris dont il y avoit là gens d’armes. Flamands se commencèrent à ébahir et à déconfire quand ils virent que ces gens d’armes les assailloient et requéroient si vaillamment, et les poussoient de leurs glaives à ces longs fers de Bordeaux qui les perçoient tout outre. Si commencèrent à reculer et à cheoir l’un sur l’autre ; et gens d’armes passoient outre, ou parmi eux, ou par autour, et se boutoient toujours ens ès plus drus, et me les épargnoient point à occire et à abattre, non plus que chiens, et à bonne cause ; car si les Flamands fussent venus au-dessus ils eussent fait pareillement.

Quand ces Flamands se virent ainsi reculés et assaillis vaillamment, et que ces gens d’armes avoient conquis la chaussée et le pont, si orent avis qu’ils bouteroient le feu dedans leur ville, pour deux raisons : l’une si étoit pour faire reculer les François, et l’autre pour recueillir leurs gens. Si firent ainsi qu’ils ordonnèrent ; et boutèrent tantôt le feu en plusieurs maisons qui furent en l’heure emprises : mais tout ce de quoi ils cuidoient ébahir leurs ennemis ne leur valut rien ; car les François, aussi arréement et vaillamment comme en devant, les poursuivoient, combattoient et occioient à grands tas en la boue et ès maisons où ils se traioient. Adonc se mirent ces Flamands aux champs, et se avisèrent de eux recueillir, si comme ils firent, et mettre ensemble, et envoyèrent des leurs pour émouvoir le pays à Vertin, à Pourperinghe, à Berghes, à Roulers, à Mézières, à Warneston, à Menin et à toutes les villes d’environ pour rassembler leurs gens et venir au pas de Comines. Ceux qui fuyoient, et ceux qui ens ès villages d’environ Comines étoient, sonnoient les cloches à herle, et montroient bien que le pays avoit à faire. Si se ébahissoient les aucuns, et les autres entendoient à sauver le leur et à apporter à Yppre et à Courtray. Là se retrayoient femmes et enfans, et laissoient leurs hôtels et leurs maisons toutes pleines de meubles, de bêtes, de grains ; et les autres s’en venoient à effort tout le cours à Comines pour aider à recouvrer le pas où leurs gens se combattoient. Entrementes que ces ordonnances se portoient ainsi, et que ces vaillans gens qui par bacques la rivière du Lys passée avoient, se combattoient, la grosse route de l’avant-garde du connétable de France entendoit à passer outre le pont. Si y avoit grand’presse, car le connétable avoit abandonné à passer qui passer pouvoit ; je vous dis pour passer devant, car nul n’ensonnioit ni empêchoit le passage. Si passèrent le pont à Comines à cet ajournement les seigneurs en grands périls ; car ils couchoient et mettoient targes ou pavois sur les gistes du pont et alloient outre ; et ceux qui étoient outre s’avisèrent de réédifier le pont ; car ils trouvèrent tous les ais devers eux. Si les remirent et rejèterent sur les gistes du pont ou sur les estaches ; et avant tout ce, la nuit on avoit fait acharier deux chariots de claies qui grandement aidèrent à la besogne.

Tant fut fait, ouvré et charpenté briévement, que le pont fut refait bon et fort ; et passèrent outre à ce mardi au matin tous ceux de l’avant-garde ; et à fait qu’ils venoient, ils se logeoient en la ville.

Le comte de Flandre avoit entendu que ceux de l’avant-garde se combattoient au pas à Comines, si envoya celle part six mille hommes de pied pour aider leurs gens ; mais quand ils vinrent, tout étoit achevé et le pont refait. Si les envoya le connétable au pont à Warneston pour le pont refaire, et pour passer ce mardi le charroi plus aisément.


CHAPITRE CLXXXV.


Comment le roi, averti de la victoire de Comines, voult passer en Flandre ; et Philippe d’Artevelle, sachant la perte à Comines, alla vers Gand pour élever l’arrière-ban.


Nouvelles vinrent ce mardi au matin au roi de France, qui étoit en l’abbaye à Marquette emprès Lille, et à ses oncles, que le pas de Comines étoit conquis, et l’avant-garde outre. De ces nouvelles furent le roi et ses oncles moult réjouis. Adonc fut ordonné et dit que le roi passeroit. Si ouït messe et ses seigneurs aussi, et burent un coup, et puis montèrent à cheval, et le chemin droit à Comines allèrent. Ceux de l’avant-garde qui étoient à Comines délivrèrent la ville de ces Flamands ; et en y ot d’occis sur les