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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/255

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LIVRE II.

l’avantage de la montagne. » Ces paroles monteplièrent tant, que tous s’accordèrent à passer outre et venir sur le Mont-d’Or, qui étoit entre eux et les François. Adonc, pour eschever le fossé qui étoit par devant eux, tournèrent-ils autour du bosquet et prirent l’avantage des champs.

À ce qu’ils se trairent ainsi sur les champs, et au retourner ce bosquet, les trois chevaliers dessus nommés vinrent si à point que tout et à grand loisir ils les avisèrent ; et chevauchèrent les plaines en côtoyant les batailles qui se remirent toutes ensemble, à moins d’un trait d’arc près de eux, et quand l’orent passée une fois au senestre et ils furent outre, ils reprirent le dextre. Ainsi virent-ils et avisèrent le long et l’épais de leur bataille. Bien les virent les Flamands ; mais ils n’en firent compte, ni oncques ils ne s’en déroutèrent. Et aussi les trois chevaliers étoient si bien montés et si usés de faire ce métier, qu’ils n’en avoient garde. Là dit Philippe d’Artevelle aux capitaines de son côté : « Tout coi ! tout coi ! mettons-nous meshui en ordonnance et en arroy pour combattre ; car nos ennemis sont près de ci ; j’en ai bien vu les apparans : ces trois chevaliers qui passent et repassent nous ravisent et ont ravisé. » Lors s’arrêtèrent tous les Flamands, ainsi qu’ils devoient venir sur le Mont-d’Or, et se remirent tous en une bataille forte et épaisse ; et dit Philippe tout haut : « Seigneurs, quand ce venra à l’assembler, souvienne-vous de nos ennemis, comment ils furent tous déconfits et ouverts à la bataille de Bruges, par nous tenir drus et forts ensemble, que on ne nous puist ouvrir. Si faites ainsi ; et chacun porte son bâton tout droit devant lui ; et vous entrelacez de vos bras, parquoi on ne puist entrer dedans vous ; et allez toujours le bon pas et par loisir devant vous, sans tourner à dextre ni à senestre ; et faites à l’heure de l’assembler, quand il viendra à i joindre, jeter nos bombardes et nos canons, et traire nos arbalêtriers ; ainsi s’ébahiront nos ennemis. »

Quand Philippe d’Artevelle ot ainsi ses gens endittés, et mis en ordonnance et arroy de bataille, et montré comment ils se maintiendroient, il se mit sur une des ailes, et ses gens là où il avoit la greigneur fiance de-lez lui ; et à son page qui étoit sur son coursier dit : « Va, si m’attends à ce buisson hors du trait ; et quand tu verras jà la déconfiture et la chasse sur les François, si m’amène mon cheval et crie mon cri ; on te fera voie ; et viens à moi ; car je vueil être au premier chef de chasse. » Le page à ces paroles se partit de Philippe et fit tout ce que son maître lui avoit dit. Encore mit Philippe sus de côté lui environ quarante archers d’Angleterre qu’il tenoit à ses gages ; or regardez si ce Philippe ordonnoit bien ses besognes. Il m’est avis que oil, et aussi est-il à plusieurs qui se connoissent en armes, fors tant qu’il se forfit d’une seule chose. Je la vous dirai ; ce fut quand il se partit du fort et de la place où au matin il s’étoit trait, car jamais on ne les eût allé là combattre, pour tant que on ne les eût point eus sans trop grand dommage ; mais ils vouloient montrer que c’étoient gens de fait et de volonté, et qui petit craignoient leurs ennemis.


CHAPITRE CXCVI.


Comment le jeudi les François se mirent en toute ordonnance pour combattre les Flamands qu’ils tenoient incrédules.


Or revinrent ces trois chevaliers et vaillans hommes dessus nommés devers le roi de France et les batailles, qui jà étoient mises en pas, en arroy et en ordonnance, ainsi comme elles devoient aller : car il y avoit tant de si sages hommes et bien usés d’armes en l’avant-garde, qu’ils savoient tous quel chose ils feroient ni devoient faire ; car là étoit la fleur de la bonne chevalerie du monde. On leur fit voie : le sire de Cliçon parla premier, en inclinant le roi de dessus son cheval, et en ôtant jus de son chef un chapelet de bièvre qu’il portoit ; et dit : « Sire, réjouissez-vous, ces gens sont nôtres, nos gros varlets les combattroient. » — « Connétable, dit le roi, Dieu vous en oye. Or allons donc avant, au nom de Dieu et de monseigneur Saint Denis. »

Là étoient les huit chevaliers dessus nommés, pour le corps du roi garder, mis en bonne ordonnance. Là fit le roi plusieurs chevaliers nouveaux : aussi firent tous les seigneurs en leurs batailles. La y ot boutées hors et levées plusieurs bannières : là fut ordonné que, quand ce venroit à l’assembler, que on mettroit la bataille du roi et l’oriflambe de France au front premier, et l’avant-garde passeroit tout outre sus aile, et l’arrière-garde aussi sus l’autre aile, et assembleroient aux Flamands en poussant de leurs