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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/256

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

lances aussitôt les uns comme les autres, et clorroient en étreignant ces Flamands qui venoient aussi joints et aussi serrés comme nulle chose pouvoit être ; par cette ordonnance pourroient-ils avoir grandement l’avantage sur eux.

De tout ce faire l’arrière-garde fut signifiée, dont le comte d’Eu, le comte de Blois, le comte de Saint-Pol, le comte de Harecourt, le sire de Châtillon, le sire de Fère étoient chefs. Et là leva ce jour de-lez le comte de Blois, le jeune sire de Havreech bannière ; et fit le comte chevaliers, messire Thomas de Distre et messire Jacques de Havreech, bâtard. Il y ot fait ce jour, par le record et rapport des hérauts, quatre cent et soixante et sept chevaliers.

Adonc se départirent du roi, quand ils orent fait leur rapport, le sire de Cliçon, messire Jean de Vienne et messire Guillaume de Langres, et s’en vinrent en l’avant-garde, car ils en étoient. Assez tôt après fut développée l’oriflambe, laquelle messire Piètre de Villiers portoit ; et veulent aucuns gens dire, si comme on trouve anciennement escript, que on ne la vit oncques déployer sur chrétiens, fors que là ; et en fut grand’question sur ce voyage si on la développeroit ou non. Toutefois plusieurs raisons considérées, finalement il fut déterminé du déployer, pour la cause de ce que les Flamands tenoient opinion contraire du pape Clément, et se nommoient en créance Urbanistes : dont les François dirent qu’ils étoient incrédules et hors de foi. Ce fut la principale cause pourquoi elle fut apportée en Flandre et développée. Celle oriflambe est une digne bannière et enseigne ; et fut envoyée du ciel par grand mystère, et est en manière d’un gonfanon ; et est grand confort le jour à ceux qui la voient. Encore montra-t-elle là de ses vertus ; car toute la matinée il avoit fait si grand’bruine et si épaisse, que à peine pouvoit-on voir l’un l’autre ; mais si très tôt que le chevalier qui la portoit la développa et qu’il leva la lance contremont, celle bruine à une fois chey et se dérompit ; et fut le ciel aussi pur, aussi clair et l’air aussi net que on l’avoit point vu en devant de toute l’année[1], dont les seigneurs de France furent moult réjouis, quand ils virent ce beau jour venu, et ce soleil luire, et qu’ils purent voir au loin et autour d’eux, devant et derrière ; et se tinrent moult à reconfortés, et à bonne cause. Là étoit-ce grand’beauté de voir ces bannières, ces bassinets, ces belles armures, ces fers de lances clairs et appareillés, ces pennons et ces armoiries. Et se taisoient tous coys ni nul ne sonnoit mot, mais regardoient ceux qui devant étoient la grosse bataille des Flamands tout en une, qui approchoit durement ; et venoient le pas tous serrés, les plançons tout droits levés contremont ; et sembloient des hanstes[2] que ce fût un bois, tant y en avoit grand’multitude et grand’foison.


CHAPITRE CXCVII.


Comment le jeudi au matin Philippe d’Artevelle et les Flamands furent combattus et déconfits par le roi de France sur le Mont-d’Or et au val emprès la ville de Rosebecque.


Je fus adonc informé du seigneur de Esconnevort, et me dit qu’il vit, et aussi firent plusieurs autres, quand l’oriflambe fut déployée et la bruine chue, un blanc coulon voler et faire plusieurs vols par dessus la bataille du roi ; et quand il ot assez volé, et que on se dobt combattre et assembler aux ennemis, il se alla asseoir sur une des bannières du roi. Donc on tint ce à grand’signifiance de bien. Or approchèrent les Flamands, et commencèrent à traire et à jeter des bombardes et des canons gros carreaux empennés d’airain ; ainsi se commença la bataille. Et en ot le roi de France et sa bataille et ses gens le premier rencontre, qui leur fut moult dur ; car ces Flamands, qui descendoient orgueilleusement et de grand’volonté, venoient roids et durs, et boutoient, en venant, de l’épaule et de la poitrine, ainsi comme sangliers tout forcenés, et étoient si fort entrelacés ensemble que on ne les pouvoit ouvrir ni dérompre.

Là furent du côté des François et par le trait des bombardes et des canons premièrement morts : le sire de Waurin, banneret, Morelet de Hallewyn et Jacques d’Erck. Adonc fut la bataille du roi reculée : mais l’avant-garde et l’arrière-garde aux deux ailes passèrent outre et enclouirent ces Flamands, et les mirent à l’étroit. Je vous dirai comment. Sur ces deux ailes gens d’armes les commencèrent à pousser de leurs roides lances à longs fers et durs de Bor-

  1. Les Chroniques de France, le moine de Saint-Denis, Juvénal des Ursins et tous les chroniqueurs français font mention du même miracle.
  2. Bois de lances.