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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/265

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LIVRE II.

ne le pourroient aimer, pour les grands dommages que ils avoient reçu pour lui.

Quelque traité que il y eut entre le roi de France et son conseil et eux, ni quelconques prélats ni sages gens qui s’en ensonniassent, on ne pot oncques trouver autre réponse. Et disoient bien au par-clos que si ils avoient vécu en danger et en peine trois ou quatre ans, pour la ville retourner et renverser tout ce dessous dessus, on n’en auroit autre chose. Si leur fut dit que ils se pouvoient donc bien partir quand ils vouloient. Si se partirent de la ville de Tournay et retournèrent à Gand, et demeura la chose en cel état, confortés que ils auroient la guerre.

Le roi de France et les seigneurs rendoient grand’peine que toute la comté de Flandre fut Clémentine ; mais les bonnes villes et les églises étoient si fort annexées et liées en Urbain, avecques l’opinion de leur seigneur le comte qui ce même propos tenoit, que on ne les en pouvoit ôter. Et répondirent adonc, par le conseil du comte, que ils en auroient avis et en répondroient déterminément dedans Pâques ; et demeura la chose en cel état. Le roi de France tint la fête de Noël à Tournay ; et quand il s’en partit, il ordonna le grand seigneur de Ghistelle à être regard de Flandre, et messire Jean de Ghistelle, son cousin, à être capitaine de Bruges, et le seigneur de Saint-Py à être capitaine de Yppre, et messire Jean de Jumont à être capitaine de Courtray ; et envoya deux cents lances de Bretons et autres gens d’armes en garnison à Ardembourg ; et en Audenarde il envoya messire Guillebert de Lieureghen et environ cent lances en garnison. Si furent pourvues toutes ces garnisons de Flandre de gens d’armes et de pourvéances, pour guerroyer l’hiver de garnisons et non autrement jusques à l’été. Adoncques ces choses ordonnées se départit le roi de Tournay et vint à Arras, et ses oncles et le comte de Flandre en sa compagnie.


CHAPITRE CCV.


Comment le roi chevaucha vers Paris. Comment il éprouva les Parisiens ; et comment les Parisiens se mirent en armes aux champs à sa venue.


Le roi séjournant à Arras fut la cité en grand’aventure, et la ville aussi, d’être toute courue et pillée par les Bretons à qui on devoit grand’finance, et qui avoient eu moult de travail en ce voyage, et si se contenoient mal du roi. À grand’peine les refrenèrent le connétable et les deux maréchaux ; mais ils leur promirent que ils seroient nettement tous payés de leurs gages à Paris ; et de ce demeurèrent envers eux le connétable de France et les maréchaux messire Louis de Sancerre et le sire de Blainville. Adonc se départit le roi et prit le chemin de Péronne ; et le comte de Flandre prit là congé au roi et s’en retourna à Lille, et là se tint tout l’hiver. Tant exploita le roi de France que il passa Péronne, Noyon et Compiègne, et vint à Senlis et Meaux en Brie, et tout sur la rivière de Marne et de Seine, et entre Senlis et Saint-Denis ; et étoit tout ce plat pays rempli de gens d’armes.

Adonc se départit le roi de Senlis et s’en vint vers Paris ; et envoya devant aucuns de ses officiers pour appareiller l’hôtel du Louvre, où il vouloit descendre. Et aussi firent ses trois oncles ; et envoyèrent de leurs gens aussi pour appareiller leurs hôtels, et les autres hauts seigneurs de France ensuivant, et tout en cautelle, car le roi ni les seigneurs n’étoient point conseillés d’entrer si soudainement à Paris ; car ils se doutoient de ceux de Paris ; et pour voir quelle contenance et ordonnance les Parisiens feroient ni auroient à la revenue du roi, ils mettoient cel essai avant. Si disoient ces varlets du roi et des seigneurs, quand on leur demandoit du roi s’il venoit : « Oil, il s’en vient voirement, il sera tantôt ci. » Adonc s’avisèrent les Parisiens que ils s’armeroient et montreroient au roi à l’entrer à Paris quelle puissance il y avoit en ce jour à Paris, et de quelle quantité de gens, armés de pied en cap, le roi, si il vouloit, pourroit être servi. Mieux leur vaulsist que ils se fussent tenus cois en leurs maisons ; car celle montre leur fut depuis convertie en grand’servitude, si comme vous orrez recorder. Ils disoient que ils faisoient tout ce pour bien ; mais on l’entendit à mal. Le roi avoit gesi à Louvre en Parisis ; si vint dîner au Bourget. Adonc courut voix dedans Paris : « Le roi sera ci tantôt. » Lors s’armèrent et jolièrent plus de vingt mille Parisiens et se mirent hors sur les champs et s’ordonnèrent en une belle bataille entre Saint-Ladre et Paris, au côté devers Montmartre ; et avoient leurs arbalêtriers et leurs paveschieurs[1], et leurs maillets tous

  1. Soldats armés de pavois ou boucliers.