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LIVRE II.

À celle promotion de papalité, pour le romain peuple apaiser, le cardinal de Gennes bouta hors sa tête par une des fenêtres du conclave, et dit tout haut au peuple de Rome : « Apaisez-vous, car vous avez pape romain, Barthelemieu des Aigles archevêque de Bari. » Le peuple répondit tout d’une voix : « Bien nous suffit. »

À ce jour n’était pas cel archevêque à Rome[1] ; et crois que il étoit à Naples : si fut tantôt envoyé querre. De ces nouvelles fut-il grandement réjoui, et vint à Rome, et se montra aux cardinaux. De sa venue furent-ils moult liez et lui firent grand’fête, et fut entre les cardinaux pris et élevé, et ot toutes les droitures de papalité, et eut nom Urbain le sixième. De ce nom eurent les Romains grand’joie, pour le bon Urbain cinq qui moult les avoit aimés.

Sa création fut signifiée par toutes les églises de chrétienté ; aussi aux empereurs, aux rois, aux ducs, aux comtes ; et le mandèrent les cardinaux à leurs amis que pape avoient par bonne élection ; dont depuis les aucuns s’en repentirent que ils en avoient parlé si avant. Si révoqua ce pape toutes grâces en devant faites. Si se départirent de leurs lieux toutes manières de clercs et s’en allèrent vers Rome pour avoir nouvelles grâces.

Nous nous souffrirons un petit à parler de celle manière et nous retournerons à parler de notre principale matière et histoire et ès besognes de France.


CHAPITRE XXII.


Comment le roi de Navarre envoya quérir ses deux fils en la cour du roi de France, lesquels il ne put avoir, et comment il fit garnir ses places en Normandie ; et comment le roi de France fit mettre en sa maison la baronnie de Montpellier appartenant au roi de Navarre, et d’autres incidens.


Vous avez bien ci-dessus ouï recorder comment le roi de Navarre fut vefve qui avoit eu à femme la suer du roi de France, et comment les sages et les coutumiers du royaume de France, par l’avis l’un de l’autre, disoient et proposoient que l’héritage aux enfans du roi de Navarre qui leur venait de par leur mère leur étoit échu, et que le roi de France leur oncle, par la succession de sa suer, en devoit avoir au nom des enfans la mainbournie, et devoit être toute la terre que le roi de Navarre tenoit en Normandie rapportée en la main du roi France, tant que ses neveux auroient âge. De toutes ces choses se doutoit bien le roi de Navarre ; car il savoit moult des usages et coutumes de France. Si se avisa de deux choses ; l’une que il envoieroit l’évêque de Pampelune et messire Martin de la Kare en France devers le roi, en priant et traitant doucement que par amour il lui voulsist renvoyer ses deux fils Charles et Pierre ; et si il venait à plaisance au roi que tous deux ne les voulsist renvoyer, à tout le moins il lui renvoyât Charles[2], car mariage se commençoit à traiter de lui et de la fille du roi Henry de Castille ; la seconde chose étoit que, nonobstant tout ce, il enverroit en France secrètement, aussi il enverroit en Normandie, visiter et rafraîchir ses châteaux afin que les François ne pussent y mettre la main ; car de fait si ils n’étoient pourvus ils s’y pourroient bouter ; et si ils en avoient pris la possession, il ne les en ôteroit mie quand il voudroit. Si avisa deux moult vaillans hommes d’armes, Navarrois et ès quels il avoit moult grand’fiance ; l’un étoit nommé Pierre le Bascle et l’autre Ferrando. Les premiers messages vinrent en France, l’évêque de Pampelune et messire Martin de la Kare ; et parlèrent au roi à moult grand loisir, en eux moult humiliant et recommandant le roi de Navarre, et en priant que ses deux fils il lui voulsist envoyer. Le roi répondit qu’il en auroit avis. Depuis en furent-ils répondus[3] au nom du roi et présent le roi, que

  1. D’autres disent qu’il était alors à Rome. S’il a été élu le 9 avril ou même le 8, et intronisé le 9, il est certain qu’il ne pouvait être à Naples le jour de son élection.
  2. Charles, fils aîné du roi de Navarre, épousa Léonore, infante de Castille, le 27 mai 1375, suivant Ferreras. Mariana, sous l’année 1377, dit que le prince Charles de Navarre était marié avec l’infante Léonore lorsqu’il passa en France, et qu’il laissa son épouse auprès de son père. L’Histoire généalogique de la maison de France donne aussi la date du 27 mai 1375 au mariage de Charles de Navarre. Ainsi la demande que le roi de Navarre fit de ses deux fils doit précéder cette époque, puisque, suivant Froissart, le motif pour lequel le roi de Navarre redemandait particulièrement Charles de Navarre, son fils aîné, c’était parce qu’il s’agissait alors du mariage de ce jeune prince avec la fille du roi de Castille qui a eu lieu le 27 mai 1375.
  3. Cette réponse ne peut s’appliquer à l’année 1378, comme on l’a fait voir dans la note précédente. Elle est antérieure au mariage de Charles de Navarre avec l’infante de Castille, le 27 mai 1375. De plus, au commencement de l’année 1378, le prince Charles n’était pas en France. Il passa à Montpellier le 18 février 1378 pour se