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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/302

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

émussent de pays à autre. Toutefois, au voir dire, les consaulx de France ne firent pas de ce si bien leur devoir ni si bonne diligence comme ils dussent, car tantôt ils devoient envoyer, et non firent : ne sais à quoi ce demeura ni périt, fors en ce espoir que le duc de Bourgogne, puis les parlemens faits, fut grandement chargé et ensoigné pour la mort de son grand seigneur le comte de Flandre, et pour l’ordonnance de l’obsèque aussi ensuivant que on fit en la ville de Lille, si comme ci-dessus vous avez ouï recorder. Et ne cuidoient pas que les Anglois dussent faire ce qu’ils firent ; car tantôt après la Pâque, le comte de Northonbrelande, le comte de Notthinghen et les barons de Northonbrelande mirent une chevauchée sus, où il pouvoit avoir environ deux mille lances et six mille archers, et passèrent Bervich et Rosebourch ; et entrèrent en Escosse et ardirent la terre au comte de Douglas et celle au seigneur de Lindesée, et ne déportèrent rien à ardoir jusques à Haindebourch.

Les barons et les chevaliers d’Escosse n’étoient point signifiés de cette avenue ; et prindrent celle chose en grand dépit, et dirent que ils l’amendroient à leur pouvoir ; et outre ils disoient que les Anglois devoient avoir trèves à eux, si comme on leur avoit rapporté ; mais rien n’en savoient, car encore au voir dire ils n’en étoient point signifiés. Bien savoient que de leur côté ils n’avoient nul traité aux Anglois, si étoit la guerre ouverte ; mais toutefois ils l’avoient premier comparé dont moult leur déplaisoit.

Vous savez bien que nouvelles s’épandent tantôt en plusieurs lieux. Il fut sçu en Flandre et par espécial à l’Écluse, par marchands qui issirent hors d’Escosse, comment les Anglois étoient entrés en Escosse, et aussi le roi Robert d’Escosse et les seigneurs faisoient leurs mandemens et leurs semonces très grandes pour venir combattre les Anglois.

Aussi fut-il sçu en France que les Anglois et les Escots étoient aux champs, si comme on disoit l’un contre l’autre ; et ne pouvoit demeurer qu’il n’y eût prochainement bataille. Les ducs de Berry, de Bourgogne et les consaulx du roi de France, quand ils entendirent ces nouvelles, dirent que c’étoit trop foiblement exploité, quand on n’avoit encore envoyé signifier la trève en Escosse, ainsi comme on avoit promis à faire. Adonc furent ordonnés, de par le roi et ses oncles et leurs consaulx, d’aller en Escosse messire Aymard de Marse, sage chevalier et authentique et messire Pierre Fresvel, et un sergent d’armes du roi, qui étoit de la nation d’Escosse et s’appeloit Janekin Champenois ; et y fut ordonné d’aller, portant qu’il savoit parler le langage et qu’il connoissoit le pays

Entrementes que ces ambassadeurs de France s’ordonnoient, et que pour venir en Angleterre ils s’appareilloient, et que les Anglois en Escosse couroient, dont les nouvelles en plusieurs lieux s’épandoient, avoit gens d’armes à l’Escluse, du royaume de France, qui là dormoient et séjournoient ; ni en quel lieu ni pays que ce fût, pour honneur acquerre et eux avancer, aller ni traire ne savoient ; car les trèves entre France, Flandre et Angleterre se tenoient. Si entendirent que les Escots et les Anglois guerroyoient ; et disoit-on à l’Escluse pour certain que hâtivement ensemble ils se combattroient. Chevaliers et écuyers qui ces nouvelles entendirent en furent tous réjouis, et parlèrent ensemble, tels que messire Geoffroy de Chargny, messire Jean de Blasy, messire Hue de Boulan, messire Sauvage de Villiers, messire Garnier de Quensignich, messire Odille de Montieu, messire Roger de Campighen, le Borgne de Montallier, Jacques de Montfort, Jean de Hallewyn, Jean de Merle, Michel de la Barre et Guillaume Gauwaert ; et pouvoient être environ vingt hommes d’armes, chevaliers et écuyers. Si orent collation ensemble, pour l’avancement de leurs corps et pour ce que ils ne savoient où trouver les armes fors que en Escosse, que ils lèveroient une nef par l’accord de eux, et s’en iroient en Escosse prendre l’aventure ensemble avecques les Escots. Si comme ils avisèrent ils firent ; et se départirent de l’Escluse et se mirent en une bonne nef et tout leur harnois d’armes ; et puis quand ils orent le vent à leur volonté, ils se partirent et laissèrent tous leurs chevaux, pour les dangers de la mer et pour le voyage qui est trop long ; car bien savoient les mariniers qui les menoient que ils ne pouvoient prendre port à Haindebourch ni à Dombarre, ni dedans les hâvres prochains ; car aussi bien étoit la navie d’Angleterre par mer comme par terre, et étoient les Anglois maîtres et seigneurs des premiers