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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/31

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[1378]
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LIVRE II.

de gens d’armes desquels le sire de Coucy et le sire de la Rivière[1] étoient chefs et meneurs. Si Se trairent toutes ces gens d’armes devant Évreux, une cité en Normandie qui se tenoit Navarroise ; et avoient ces deux barons avecques eux les deux fils du roi de Navarre, Charles et Pierre[2], pour montrer à ceux du pays de la comté d’Évreux que la guerre que ils faisoient ce étoit au nom des enfans, et que l’héritage étoit leur et r’eschu de par leur mère[3], et que le roi de Navarre n’y avoit nulle cause de le tenir. Mais la greigneur partie des gens d’armes étoient si conjoints d’amour au roi de Navarre que ils ne se savoient partir de son service ; et aussi les Navarrois qui y étoient amassés et que le roi de Navarre y avoit envoyés lui faisoient sa guerre plus belle.


CHAPITRE XXIII.


Comment le roi de France saisit toute la terre au roi de Navarre.


Le roi de France envoya commissaires de par lui à Montpellier pour saisir toute la terre et seigneurie de Montpellier[4] que le roi de Navarre tenoit. Quand ces commissaires de par le roi de France, messire Guillaume de Dormans et messire Jean le Mercier, furent venus à Montpellier, ils mandèrent des plus notables de la ville et leur montrèrent leurs commissions. Ceux de Montpellier obéirent, car faire leur convenoit. Si ils eussent désobéi, mal pour eux ; car le duc d’Anjou et le connétable de France atout grands gens d’armes étoient sur le pays, qui ne demandassent mie mieux que la guerre à ceux de Montpellier. Si furent pris et prisonniers deux chevaliers de Normandie gouverneurs et regards de Montpellier de par le roi de Navarre, messire Guy de Gauville et messire Legier d’Orgessy[5] ; et demeurèrent depuis grand temps en prison. Ainsi fut la ville de Montpellier et toute la baronnie françoise.


CHAPITRE XXIV.


Comment le siége fut mis de par le roi de France devant la ville d’Évreux ; et comment le roi de Navarre alla en Angleterre faire alliances aux Anglois.


Nous retournerons à l’armée de Normandie et conterons comment le sire de Coucy et le sire de la Rivière exploitèrent. Ils vinrent devant Évreux et y mirent le siége. Ceux des garnisons du roi de Navarre étoient tous clos contre les François, et n’étoit mie leur entente de eux sitôt rendre. Quand le roi de Navarre entendit que on avoit pris et saisi la ville de Montpellier et toute la terre, et que grands gens d’armes étoient en la comté d’Évreux qui lui prenoient et abattoient ses villes et ses châteaux, si vit bien que c’étoit acertes ; et ot plusieurs imaginations et consaulx avec ceux où il avoit plus grand’fiance. Finablement il fut regardé en son conseil, que il ne pouvoit nullement être conforté si ce n’étoit du côté des Anglois. Et eut conseil que il enverroit un sien espécial homme

    dans le recueil des ordonnances du Louvre, ni dans les preuves de l’histoire de Charles-le-Mauvais, roi de Navarre, par M. Secousse. Mais comme dans ce dernier recueil on voit des lettres de Charles V du 25 avril et du 11 mai, datées de Paris, il est à présumer que c’est dans cet intervalle que Charles aura séjourné à Rouen.

  1. Froissart, dans le Ier volume, nomme pour chef de l’expédition de Normandie le connétable Bertrand du Guesclin. Ici il ne parle que du sire de Coucy et du seigneur de la Rivière : il faut y joindre, outre le connétable, le duc de Bourgogne qui avait été créé chef et gouverneur pour la guerre de Normandie par lettres de Charles V, datées de Senlis, le 8 avril 1377–78, le duc de Bourbon, l’amiral de Vienne et le comte d’Harcourt, qui ont eu part au commandement dans cette expédition.
  2. Les généraux de Charles V ne pouvaient pas avoir avec eux les deux fils du roi de Navarre au commencement de cette expédition. La guerre contre Charles-le-Mauvais, en Normandie, a commencé en avril 1378. Suivant des lettres de rémission données par le comte d’Harcourt et le sire de La Rivière et datées du 6 mai, on était alors occupé du siége de Breteuil, et ce fût dans Breteuil que l’on trouva Pierre de Navarre, second fils de Charles-le-Mauvais, et la princesse Bonne, sœur de Pierre.
  3. Le comté d’Évreux appartenait au roi de Navarre, et non pas à la reine son épouse.
  4. Le récit de Froissart concernant la saisie de Montpellier ne s’accorde point avec ceux de d’Aigrefeuiile, dans son Histoire de Montpellier, et de Vaissette dans son Histoire de Languedoc, soit par rapport aux noms des commissaires soit par rapport aux circonstances de la réduction de cette ville. Suivant ces deux historiens, qui s’appuient de l’autorité des pièces originales des archives de Montpellier et du cabinet du marquis d’Aubais, Charles V manda, dans le mois d’avril, les complots du roi de Navarre au duc d’Anjou. Le 16 du même mois, le duc donna une commission à Pierre de Beuil, sénéchal de Toulouse, pour saisir Montpellier. Pierre de Beuil y arriva le 20 avril, et en prit possession au nom du roi.
  5. C’est Legier ou Leger d’Orgessin. Il en est fait mention dans des lettres de rémission du 30 juin 1378, où il est parlé de la reddition de Pacy dont Leger d’Orgessin avait été capitaine pour le roi de Navarre.