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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/32

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[1378]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

avecques lettres de créances, pour savoir si le jeune roi d’Angleterre et son conseil le voudroient point recueillir à alliance, et il leur jureroit de ce jour en avant et leur scelleroit à être bon et loyal envers les Anglois, et leur mettroit en main toutes les forteresses que il tenoit en Normandie. Et pour faire ce message et aller en Angleterre, il appela un sien clerc, sage homme et bien enlangagé, en qui il avoit grand’fiance, et lui dit : « Maître Pascal[1], vous irez en Angleterre, et exploitez si bien que vous rapportez bonnes nouvelles ; car pour toujours mais je me vueil tenir et allier avecques les Anglois. » Maître Pascal fit ce dont il étoit chargé, et appareilla ses besognes, et monta en mer en un port en Navarre, et singla tant qu’il prit terre en Cornouaille ; et puis chevaucha tant par ses journées que il vint à Chennes[2] de-lez Londres, où le roi se tenoit. Si se tray vers lui et recommanda le roi de Navarre son seigneur à lui. Le roi lui fit bonne chère ; et là étoient le comte de Sallebry et messire Symon Burlé qui s’ensoignèrent du parler et du répondre ; et dirent que le roi viendroit à Londres et là manderoit son conseil et seroit là répondu.

Maître Pascal se contenta de ces paroles et vint à Londres ; et le roi fit là venir son conseil au jour que nommé fut. Là remontra maître Pascal au roi et à son conseil ce dont il étoit chargé, et parla si bel et si sagement que il fut volontiers ouï. Et fut répondu par le conseil, pour le roi que les offres que le roi de Navarre mettoit en termes feroient bien à recueillir et non pas à renoncer ; mais bien appartenoit, à faire si grands alliances, que le roi de Navarre y vint en propre personne pour ouïr plus pleinement ce que il vouloit dire ; car le roi d’Angleterre étoit un jeune sire, si le verroit volontiers ; et en cas qu’il viendroit là, ses besognes en vaudroient trop grandement mieux. Sur cel état se départit maître Pascal et retourna arrière en Navarre, et recorda tout ce qu’il avoit trouvé, et comment le jeune roi d’Angleterre et son conseil le vouloient voir. Adonc répondit le roi de Navarre et dit que il iroit[3]. Si fit appareiller un vaissel que on appelle Lin, qui va par mer de tous vents et sans périls : si entra le roi de Navarre en ce vaissel à privée maisnie ; toutes fois il emmena messire Martin de la Kare et maître Pascal avecques lui ; et exploitèrent tant que ils arrivèrent en Angleterre.


CHAPITRE XXV.


Des alliances que le roi de Navarre fit au roi d’Angleterre, et comment le roi de France étoit garni de gens d’armes en plusieurs lieux.


Un petit avant son département, le roi de France qui avoit enchargé le roi de Navarre en grand’haine, et qui savoit couvertement par gens de l’hôtel de Navarre tous les secrets traités que il avoit aux Anglois, avoit tant exploité devers le roi Henry de Castille que le roi Henry l’avoit défié et lui faisoit grand’guerre[4]. Si avoit à son département le roi de Navarre laissé en son pays le vicomte de Castelbon, le Seigneur de l’Escun, Perrot de Bierne et le Bascle, et grands gens d’armes, tant de son pays comme de la comté de Foix, pour garder les forteresses contre les Espaignols. Quand il fut monté en mer, il eut vent à volonté et prit terre en Cornouaille ; et puis exploita tant par ses journées qu’il vint à Vindesore où le roi Richard et son conseil étoient, qui le reçurent liement, car ils pensoient mieux à valoir de sa terre de Normandie, espécialement de la ville et du châtel de Chierbourch dont les Anglois désiroient moult à être seigneurs. Le roi de Navarre remontra au roi d’Angleterre sagement et par bel langage ses besognes et ce pourquoi il étoit là venu ; et tant que moult volontiers il fut là ouï du roi et son conseil, et sur ce conseillé et re-

  1. C’est sans doute celui qui est nommé Paschalis de Lardia, secretarius et procurator magnifici principis Karoli regis Navarræ, dans les lettres de Richard II, roi d’Angleterre, du 29 mars 1380.
  2. Sheen, aujourd’hui Richmond.
  3. Voy., dans Rymer, les lettres de sauf-conduit données par le roi Richard II, du 31 mai 1378, pour le roi de Navarre et cinq cents personnes de sa suite, tant armées que non armées.
  4. Le roi de France eut beaucoup de peine à décider Henri de Castille, qui avait donné sa fille Léonore en mariage à Charles, fils du roi Charles de Navarre, à déclarer la guerre à son nouveau parent. Ce qui le décida fut le traité conclu en août 1377, entre Richard II et le roi de Navarre, par lequel Charles donnait aux Anglais le château de Cherbourg, à condition que le roi d’Angleterre lui donnerait cinq cents hommes d’armes et cinq cents archers, pour faire la guerre, dit le traité, au bâtard Henri, occupant à présent ledit royaume d’Espagne.