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LIVRE II.

conforté tant que bien s’en contenta. Je vous dirai comment les traités se portèrent entre ces deux rois : Que le roi de Navarre devoit demeurer à tous jours mais bon et loyal Anglois, et ne pouvoit ni devoit faire paix ni accord au roi de France ni au roi de Castille sans le sçu et consentement du roi d’Angleterre et de ses gens, lequel devoit à ses coûtages faire garder la ville et le châtel de Chierbourch trois ans ; mais toujours demourroit au roi de Navarre la souveraineté et seigneurie. Et si le roi d’Angleterre ou ses gens par leur puissance pouvoient obtenir les villes et châteaux que le roi de Navarre avoit adonc en Normandie encontre le roi de France ou les François, elles demourroient Anglesches ; mais toujours retourneroit la souveraineté au roi de Navarre ; laquelle chose les Anglois prisoient moult, pour la cause de ce que ils pouvoient avoir une belle entrée en Normandie qui leur étoit trop bien séant ; et devoit le roi d’Angleterre envoyer en celle saison mille lances et deux mille archers par la rivière de Geronde à Bordeaux ou à Bayonne, et ces gens d’armes entrer en Navarre et faire guerre au roi de Castille ; et ne se devoient partir du roi de Navarre ni de son royaume tant que il eut point de guerre aux Espaignols ; mais ces gens d’armes et archers, eux entrés en Navarre, le roi de Navarre les devoit payer de tous points et étoffer ainsi que à eux appartenoit et que le roi d’Angleterre est d’usage de les payer. Plusieurs traités, ordonnances et alliances furent là faites, escriptes, scellées et jurées à tenir entre le roi d’Angleterre et le roi de Navarre, qui assez bien se tinrent ; et furent là nommés du conseil au roi d’Angleterre, lesquels iroient en Normandie et lesquels en Navarre ; et pourtant que le duc de Lancastre et le comte de Cantebruge n’étoient mie à ces traités, mais le duc de Bretagne y étoit, fut là dit et parlementé que on leur envoieroit ces traités tout scellés afin que ils se hâtassent de entrer en Normandie.


CHAPITRE XXVI.


Comment Carentan, Conches et autres villes en Normandie se rendirent françoises, et comment le siége fut mis à Évreux ; et de l’armée du duc de Lancastre.


Le roi Charles de France qui fut sage et soutil, et bien le montra tant que il vesqui, étoit tout informé de l’armée d’Angleterre, mais il ne savoit pas, fors par soupçon, où elle se vouloit traire, ou en Normandie, ou en Bretagne ; et pour ces doutes il tenoit en Bretagne grands gens d’armes desquels le sire de Cliçon, le sire de Laval, le vicomte de Rohan, le sire de Beaumanoir, et le sire de Rochefort étoient capitaines et gouverneurs ; et avoient assiégé Brest par bastides, non autrement, parquoi on ne le pût avitailler. De Brest étoit capitaine un écuyer Anglois, vaillant homme d’armes, qui s’appeloit Jacques Clerc. Et pour ce que le roi de France savoit que le roi de Navarre étoit allé en Angleterre, et espéroit bien que avant son retour il feroit convenances et alliances à son adversaire d’Angleterre, et se doutoit de cette armée qui se tenoit sur mer, que de force ils ne prissent terre en Normandie et de fait se boutassent ès châteaux qui se tenoient du roi de Navarre, il envoya hâtivement devers le sire de Coucy et le sire de la Rivière en remontrant ces besognes, que ils se délivrassent de reconquérir ces châteaux, n’eussent cure comment, par traités ou par accords, et par espécial les plus, prochains des bandes de la mer. Bien savoient que Chierbourch n’étoit mie à prendre légèrement. Et afin que par terre ceux de Chierbourch ne se pussent ravitailler, le roi de France envoya à Valogne grands gens d’armes des basses marches de Bretagne et de Normandie, desquels pour les Bretons messire Olivier de Cliçon étoit capitaine, et des Normands le sire d’Ivery et messire Percevaulx d’Aineval.


CHAPITRE XXVII.


Du siége que le sire de Coucy et le sire de la Rivière avoient à Évreux, et des châteaux et villages que le roi de Navarre perdit lors en Normandie.


Le sire de Coucy et le sire de la Rivière avoient à grand’puissance assiégé la cité d’Évreux[1],

  1. MM. Secousse et Sauvage pensent qu’il s’agit ici d’Avranches et non d’Évreux.

    Ce soupçon paraît fondé, car, suivant Froissart, les généraux de Charles V avaient ordre d’attaquer les châteaux les plus prochains des bandes de la mer. Or la ville d’Avranches est plus voisine de la mer qu’Évreux surtout qui en est fort éloigné. Avranches appartenait au roi de Navarre. Froissart parle de la prise de la ville dont il s’agit ici comme de la première expédition des généraux de Charles V. Or la prise d’Avranches paraît avoir précédé celle d’Évreux ; car dans le premier volume des preuves de l’Histoire de Bretagne, par D. Morice, il est parlé d’une montre de Geoffroy de Caremel, de la compagnie du connétable, reçue à Avranches le 29