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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

recorderai avant en l’histoire. Mais je veuil retourner à parler un petit des avenues de Flandre et du mariage du jeune roi Charles de France, qui se maria en celle saison ; et comment Ardenbourch, où le vicomte de Meaux et messire Jean de Jumont se tenoient en garnison, fut près emblé.


CHAPITRE CCXXIX.


Comment François Acreman atout six mille Gantois faillit à prendre Ardembourch. Comment messire Charles de la Paix mourut. Pourquoi Louis de Valois s’escripsit roi de Honguerie ; et comment le roi Charles VI vouit avoir à femme madame Isabelle, fille au duc Étienne de Bavière.


Depuis la déconfiture qui fut faite des gens que messire Rifflard de Flandre mena ens ès Quatre-Métiers[1] outre Gand, vint en Ardembourch et fut envoyé en garnison messire Robert de Bethune, vicomte de Meaux ; et trouva là messire Jean de Jumont et les compagnons ; et aussi il amena environ quarante lances, chevaliers et écuyers, qui moult se désiroient à aventurer. Quand le vicomte fut là venu, si entendit à remparer le lieu et à fortifier la ville de tout points. François Acreman et ceux de Gand soubtilloient et visoient nuit et jour comment ils pourroient nuire à leurs ennemis et porter dommage ; et pourtant besognoit-il bien à ceux qui leur étoient prochains, comme ceux d’Audenarde, de Tenremonde, de Bruges, d’Ardembourch, du Dam et de l’Écluse étoient, que ils fussent sur leur garde et soigneux de leurs villes. Car, au voir dire, ce François Acreman étoit moult habile pour embler et pour écheller, et pour faire de soubtives emprises ; et tenoit, et avoit de-lez lui compagnons moult habiles et soubtils à ce faire. Et advint que, environ l’issue de mai, François Acreman atout sept mille hommes tous armés se départit de Gand sur celle entente que pour embler et écheller Ardembourch, pour la convoitise de prendre et avoir les chevaliers et écuyers qui dedans étoient ; et par espécial le capitaine, messire Jean de Jumont, lequel il desiroit plus à tenir que nul des autres ; car il leur avoit porté et fait tant de contraires et de dommages, de occire et de meshaigner leurs gens, ou de créver leurs yeux, ou de couper pieds, poings ou oreilles que ils ne le pouvoient aimer. Et sur celle entente s’en vinrent-ils, par un mercredi, droit au point du jour, à Ardembourch, et avoient avec eux leurs échelles toutes pourvues. Et dormoient en leurs lits tout paisiblement, sur la fiance de leur guet, le vicomte de Meaux, messire Jean de Jumont, messire Rifflard de Flandre, le sire de Daymart, messire Tiercelet de Montigny, messire Perducas du Pont-Saint-Marc, le sire de Longueval et messire Jean son fils, messire Hue d’Esnel, le sire de Lalain et messire Raoul de Lommel, et plusieurs autres. Or regardez la grand’aventure ; car jà étoit le guet de la nuit presque tout retrait et la guète montoit en sa garde, quand François Acreman et ses Gantois furent venus, échelles à leurs cols, et entrèrent ens ès fossés, et passèrent outre et vinrent jusques aux murs ; et dressèrent échelles contremont et commencèrent à ramper et monter. D’aventure à cette heure par dedans la ville étoient le sire de Saint-Aubin, messire Gossiaux, et un écuyer de Picardie qui s’appeloit Enguerrand Zendequin, et deux ou trois picquenaires[2] avec eux ; et aboient tout jouant selon les murs. Et crois que la nuit ils avoient été du guet ; mais ils n’étoient encore retraits, car, au voir dire, si ils n’eussent là été, sans nulle faute Ardembourch étoit prise, et tous les chevaliers et écuyers en leurs lits.

Quand messire Gossiaux de Saint-Aubin et Enguerrand Zendequin virent le convenant, et que ces Gantois montoient par échelles aux créneaux, et jà en avoit un qui devoit mettre la jambe outre pour entrer en la ville, si furent tous ébahis, et non pas si que ils ne prensissent confort en eux, car ils véoient bien et connoissoient que si ils fuyoient la ville étoit prise et perdue ; car ils venoient si à point que entre le guet faillant et rallant et la guette montant en sa garde : « Avant, avant ! dirent le sire de Saint-Aubin et Enguerrand Zendequin, qui virent le convenant, aux picquenaires. Vez ci les Gantois, défendons notre ville, ou elle est prise. » Lors s’en vinrent ces quatre à l’endroit où les échelles étoient dressées et où ils vouloient monter et dedans entrer. Et l’un des picquenaires escueult sa pique et lance, et renverse celui ès fossés qui s’avançoit d’entrer dedans.

À ces coups monta la guette, qui se aperçut comment ils étoient sur les fossés et dedans les

  1. Les villes et plats pays de Bouchoute, Assenède, Axele et Hulst.
  2. Soldats armés de piques.