Aller au contenu

Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/324

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
318
[1385]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

ne fût très haute chose et grand profit pour le comte de Valois d’être roi de Honguerie, qui est l’un des grands royaumes chrétiens du monde. Si furent les Hongres, qui là étoient envoyés de par la roine et le pays, grandement recueillis, et leurs furent donnés de beaux dons et grands présents et avecques eux en Honguerie s’en allèrent ambassadeurs de France, l’évêque de Massères et messire Jean la Personne, lequel, par procuration générale, quand il fut venu en Honguerie, épousa au nom du comte de Valois Marguerite de Honguerie, laquelle après sa mère devoit être roine de Honguerie[1]. Et puis s’en retourna l’évêque en France, et aussi fit messire Jean la Personne qui avoit épouse la dame, et geu de-lez li tout courtoisement sur un lit. Et de tout ce montroient-ils lettres patentes et instruments publics ; et tant que ils s’en contentèrent bien en France. Et s’escripsit un longtemps le comte de Valois Louis de France roi de Honguerie[2].

Encore avez-vous ci-dessus ouï recorder comment le duc de Bourgogne et le duc Aubert de Bavière et sire de Hainault, de Hollande, de Zélande et de Frise par bail, avoient en la cité de Cambray marié leurs enfans, chacun fils et fille, auquel mariage le jeune roi de France vint ; et fut de grand’abondance. Or veulent les aucuns dire, si comme je fus donc informé, que en celle semaine que le roi de France et ses oncles le duc de Bourgogne et le duc de Bourbon étoient là, et le duc Aubert, et les dames, madame de Bourgogne, madame de Brabant et madame de Hainaut, que par le promouvement de la duchesse de Brabant on traita là un mariage secrètement du jeune roi de France et de madame Isabel, fille au duc Étienne de Bavière ; car le roi Charles de France de bonne mémoire, au lit de la mort avoit ordonné que Charles, son fils, fût assigné et marié, si on en pouvoit voir lieu pour lui, en Allemagne ; pourquoi des Allemands plus grands alliances se fissent aux François ; car il véoit que le roi d’Angleterre étoit marié à la sœur du roi d’Allemagne, dont il valoit mieux.

La duchesse de Brabant, qui étoit une dame bien imaginant toutes ces choses, remontra aux oncles du roi et à son conseil en la cité de Cambray, comment cette jeune dame étoit fille d’un grand seigneur, en Allemagne, et le plus grand des Bavières, et que grands alliances s’en feroient aux Allemands ; et pouvoit le duc Étienne rompre trop de propos de hauts seigneurs en l’Empire ; car il y étoit aussi grand ou plus que le roi d’Allemagne. Ce fut la condition qui plus inclina le roi de France et son conseil à persévérer en cette besogne ; et toutefois il fut moult secrètement demené ; et en savoient trop petit de gens parler jusques à tant qu’il fût fait. Là raison pourquoi, vous l’orrez ; je la vous dirai. Il est d’usage en France que quelconque dame, comme fille de haut seigneur qu’elle soit, que l’on veut marier au roi, il convient que elle soit regardée et avisée toute nue par dames, à savoir si elle est propice et formée à porter enfants. Outre plus, pour ce que cette dame étoit de lointain pays et tant que de Bavière, elle amenée en France, on ne savoit si elle seroit à la plaisance du roi de France : autrement c’étoit tout rompu. Pour ces raisons furent toutes ces choses tenues en secret ; et fut la dame environ la Pentecôte amenée en Brabant de-lez la duchesse qui la reçut liement et l’ordonna à l’usage de France. Et étoit le duc Frédéric de Bavière son oncle en sa compagnie, et par lequel au voir dire le mariage étoit premièrement promu, par la manière et raison que je vous dirai

Quand le duc Frédéric de Bavière vint premièrement en France et il fut devant Bourbourch au service du roi de France, voir est que il fut festoyé et conjoui des oncles du roi et des royaux moult grandement, pour la cause de ce qu’il étoit venu servir le roi du lointain pays de Bavière et de plus de deux cents lieues loin. Si tinrent dudit duc le service à grand ; et fut logé toujours près du roi en cause d’amour, et accompagné des oncles du roi. Et quand il se parût de Bavière, il cuidoit certainement que le roi de France et d’Angleterre dussent avoir en la marche de Flandre ou de France bataille adressée ensemble, si comme la voix et renommée couroit adonc par toute Allemagne ; et pour ce lui en savoient le roi de France et ses oncles plus grand gré. Et étoit venu, eux étants en ce voyage de Berghes et de Bourbourg, que les oncles du roi, ainsi que seigneurs se devisent ensemble, lui avoient demandé moult bien si il

  1. Toute cette relation est évidemment erronée, puisqu’il n’y avait pas de Marguerite de Hongrie à marier.
  2. Je ne trouve aucune trace de tous ces faits.