Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1385]
319
LIVRE II.

avoit nulle fille à marier, et que il convenoit une femme au roi de France ; et plus cher auroient-ils à le marier en Bavière que ailleurs ; car les Bavières anciennement ont été toujours du conseil du roi. À ces paroles avoit répondu le duc Frédéric que nennil ; mais son frère ains-né le duc Étienne en avoit une belle. « Et de quel âge demandèrent les oncles du roi ? » — « Entre treize et quatorze ans, avoit répondu le duc Frédéric. » Donc dirent les oncles du roi : « C’est tout ce que il nous faut : vous revenu en Bavière, parlez-en à votre frère et amenez votre nièce en pèlerinage à Saint-Jean d’Amiens ; et le roi sera là. S’il la voit, espoir la convoitera-t-il ; car il voit volontiers toutes belles femmes et les aime ; et si elle lui eschiet au cœur, elle sera roine de France. »

Ainsi allèrent les premières convenances ; ni plus n’y ot dit n’y fait ; et n’en savoit rien le roi de France que on eût parlé de son mariage. Et quand le duc Frédéric fut retourné en Bavière, il remontra à son frère le duc Étienne toutes ces choses, lequel pensa moult longuement sur ce, et lui répondit : « Beau frère, je crois moult bien qu’il soit ainsi comme vous me dites ; et seroit ma fille bien heureuse si elle pouvoit escheoir ni venir à si haut honneur comme d’être roine de France ; mais il y a moult loin d’ici, et si y a trop grand regard à faire une roine et femme d’un roi[1]. Si serois trop courroucé, si on avoit mené ma fille en France et puis qu’elle me fût ramenée ; j’ai assez plus cher que je la marie à mon aise de-lez moi. »

Ce fut la réponse que le duc Étienne avoit donnée à son frère. De quoi le duc Frédéric se contentoit assez ; et avoit escript aucques sur celle forme aux oncles du roi, à son oncle le duc Aubert et à madame de Brabant, auquel il en avoit parlé à son retour ; et cuidoit bien que on eût mis toutes ces choses en non chaloir. Et aussi on parloit du mariage du roi ailleurs ; et se fût assez tôt le roi accordé à la fille du duc de Lorraine ; car elle étoit moult belle damoiselle et de son âge ou assez près, et de grande et noble génération, de ceux de Blois. Et aussi parlé fut de la fille du duc de Lancastre[2], qui puis fut roine de Portingal ; mais on n’y pouvoit trouver nul bon moyen, pour leur guerre ; si convint la chose demeurer.

Or remit sus la duchesse de Brabant le mariage de Bavière, quand elle fut à Cambray aux mariages dessus dits de Bourgogne et de Hainaut, et le roi de France et ses deux oncles y furent, le duc de Bourgogne et le duc de Bourbon ; et dit bien que c’étoit le plus profitable et le plus honorable, pour la cause des alliances qui en pouvoient descendre et venir des Allemands, que elle sçût à présent pour le roi. « Voire, dame, répondirent les oncles du roi, mais nous n’en oyons nulles nouvelles. » — « Or vous taisiez, dit la duchesse, je le ferai traire avant, et en orrez nouvelles en cel été sans nulle faute. » Les promesses de la duchesse furent avérées ; car elle fit tant que le duc Frédéric son oncle s’accorda à son frère le duc Étienne de la amener, si comme vous orrez en suivant ; et sur leur chemin disoient que ils alloient en pèlerinage à Saint-Jean d’Amiens. Toutes gens le supposoient ainsi ; car Allemands vont volontiers en pélerinage, et l’ont eu et le tiennent d’usage.

Quand le duc Frédéric et sa nièce, damoiselle Isabel de Bavière, orent été trois jours à Bruxelles de-lez la duchesse, ils s’en partirent et prindrent congé. Mais ce fut bien l’intention de la duchesse, et leur promit à leur département, que elle seroit aussitôt à Amiens comme eux, ou devant ; et que elle y vouloit aussi aller en pélerinage. Sur cel état faisoit-elle ordonner ses besognes. Or vinrent le duc Frédéric et sa niepce en Hainaut, et droitement au Quesnoy, où ils trouvèrent le duc et la duchesse, et Guillaume de Hainaut qui se nommoit et escripsoit comte d’Ostrevant, et madame sa femme, fille au duc de Bourgogne, lesquels et lesquelles reçurent liement et doucement le duc Frédéric de Bavière ; car le duc Aubert en étoit oncle, et leur nièce aussi. « Et comment en avez-vous finé de l’amener, demandèrent le duc Aubert et sa femme ; car bien savoient que leur frère le duc Étienne, pour les incidences dessus dites, y avoit jà été grandement rebelle ? » — « Je vous

  1. Il veut faire allusion à la cérémonie de la visite mentionnée plus haut.
  2. Suivant le moine de Saint-Denis, on hésita entre Isabelle de Bavière, une fille d’Autriche et la fille de Jean, duc de Lorraine ; mais on se décida à s’en remettre à l’inclination du roi. Un peintre habile fut envoyé sur les lieux pour faire le portrait des trois princesses, et Isabelle ayant paru la plus belle au roi, on se décida à la demander à son père.