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LIVRE II.

y ait part ! dit le duc de Bourgogne, et nous le voulons aussi. » Tantôt il monta à cheval, accompagné de hauts barons et s’en vint en l’hôtel de Hainaut et y rapporta ces nouvelles, dont on fut tout réjoui ; ce fut raison. À ces mots on cria : « Noël ! » Or furent les seigneurs et les dames ensemble ce vendredi pour avoir conseil où on épouseroit. Si fut ordonné que on se départiroit d’Amiens et venroit-on à Arras, pour épouser et faire les fêtes des noces. C’étoit l’intention des oncles du roi et du conseil de France ; et sur cel état le vendredi au soir on se arrêta et alla-t-on coucher. Le samedi au matin, chambellans et varlets de chambre se départirent pour chevaucher vers Arras, pour prendre les hôtels et appareiller les chambres ; et cuidoient les seigneurs et les dames partir après dîner et venir gésir à Encre, ou à Bapaumes ou à Beauquesne. Mais ce conseil se transmua ; car quand le roi ot ouï sa messe, il vit que varlets se troussoient et appareilloient pour aller leur chemin. Si demanda au sire de la Rivière : « Bureau, quel part irons-nous ? » — « Sire, il est ordonné de monseigneur votre oncle que vous irez à Arras, et là épouserez et tiendrez les noces. » — « Et pourquoi ? dit le roi ; ne sommes-nous pas bien ici ? Autant vaut épouser ici comme à Arras. » À ces mots vint le duc de Bourgogne et entra en la chambre du roi. Adonc dit le roi : « Beaux oncles, nous voulons ci épouser en celle belle église d’Amiens. Nous n’avons que faire de plus détrier. » — « Monseigneur, dit le duc, à la bonne heure ; il me faut donc aller devers ma cousine de Hainaut ; car elle étoit informée de partir de ci et traire autre part. » Adonc se départit le duc de Bourgogne, et le comte de Saint-Pol s’en alla devers la duchesse de Brabant dire ces nouvelles.

Or vint le duc de Bourgogne devers madame de Hainaut, le connétable, messire Guy de la Trémoille, le seigneur de Coucy et plusieurs autres en sa compagnie ; si entra le duc en la chambre de la duchesse, et la mariée qui seroit sa nièce de-lez elle. Le duc les inclina et salua, si comme il appartenoit, car bien le sçut faire ; et puis dit à la duchesse, tout en riant : « Madame et ma belle cousine, monseigneur a brisé notre propos d’aller à Arras ; car la chose lui touche de trop près de ce mariage. Il m’a connu qu’il ne pot en-nuit dormir de penser à sa femme qui sera ; si que, vous vous reposerez meshui et demain en celle ville ; et lundi nous guérirons ces deux malades. » La duchesse commença à rire et dit : « Dieu y ait part ! » Le duc se départit et retourna devers le roi. Ainsi demeura la chose en cel état le samedi et le dimanche tout le jour, et se ordonna-t-on pour épouser à lendemain.


CHAPITRE CCXXX.


Comment François Acreman et les Gantois prindrent la ville du Dam, quand ils eurent failli à prendre la ville d’Ardembourch et Bruges.


Ce propre samedi au soir étoit parti des Quatre-Métiers François Acreman, là où il s’étoit retrait atout bien sept mille hommes, quand il ot failli à prendre Ardembourch ; et avoit en convenant à ceux de Gand, à messire Jean le Boursier, à Piètre du Bois et aux autres capitaines, que jamais ne retourneroit en Gand, si auroit pris ou Bruges, ou Ardembourch, ou le Dam, ou l’Escluse. Car les Gantois, qui étoient informés du voyage d’Escosse de l’amiral de France et grand’foison de bonne chevalerie en sa compagnie pour guerroyer en Angleterre, mettoient grand’peine que le roi de France et les gens d’armes de France qui étoient demeurés au royaume fussent si ensonniés que plus n’en passassent la mer ; car voix et commune renommée couroit, et on en véoit aucunes apparences, que le connétable et le comte de Saint-Pol et le sire de Coucy et grand’foison de Gennevois et de gens d’armes, devoient entrer en Angleterre pour reconforter leurs gens. François Acreman, qui étoit appert homme en armes et subtil, mettoit toutes ses ententes à grever ses ennemis, pour avoir la grâce et l’amour de ceux de Gand ; et issit hors ce samedi, si comme je vous ai dit, de un pays que on dit les Quatre-Métiers, et vint toute nuit costier Bruges et le cuida prendre et embler, mais il ne put, car elle étoit trop bien gardée. Quand il vit qu’il avoit failli, il s’en alla vers le Dam ; et vint là au point du jour, et encontra ses espies que il y avoit envoyés le samedi ; car en un bosquet près de là, entre le Dam et Ardembourch, il avoit jeté une embûche. Ses espies lui dirent quand ils l’encontrèrent : « Sire, il fait bon au Dam ; messire Roger de Ghistelle, le capitaine, n’y est point ; il n’y a que dames. » Et ils disoient voir ; car ce samedi il étoit venu à Bruges atout vingt lances ; si n’en étoit point encore retourné ; dont il fut grandement blâmé, car au partir il