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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

mier jour d’août, il fut devant le Dam, et se logea si près de la ville que le trait passoit pardessus sa tente. Trois jours après, vint Guillaume de Hainaut, qui fut le bien venu du roi et de monseigneur de Bourgogne. Là fut mis le siége devant le Dam, grand et beau, et fut enclos François Acreman dedans qui s’y porta vaillamment ; et tous les jours si il n’y avoit trèves ou répits, il y avoit assaut ou escarmouche. Et fut le sire de Clary, Vermendisien, qui étoit maître des canonniers au sire de Coucy, en allant vers la ville voir les canons, trait et atteint d’un quarrel de canon de ceux de dedans, duquel trait il mourut, dont ce fut dommage.

Au siége de Dam vinrent ceux des bonnes villes de Flandre, de Yppre, de Bruges et de tout le Franc de Bruges ; et y avoit à ce siége plus de cent mille hommes. Et étoit le roi logé entre le Dam et Gand ; et étoit capitaine de toutes ces communautés de Flandre le seigneur de Saint-Py, et avoit à compagnon le seigneur de Ghistelle atout vingt et cinq lances, et étoient logés droit en-my eux, afin que ils ne se rebellassent.

À un assaut qui fut fait devant le Dam, où tous les seigneurs furent, qui fut très grand et dura un jour tout entier, fut fait chevalier nouveau Guillaume de Hainaut, de la main et de la bouche du roi de France ; et bouta hors ce jour sa bannière ; et fut très bon chevalier en sa nouvelle chevalerie.

À cel assaut ne conquirent rien les François ; mais y perdirent plus que ils y gagnèrent ; car François Acreman avoit là avecques lui archers d’Angleterre qui grévoient moult les assaillans. Et aussi il y avoit grand’foison d’artillerie ; car la ville, en devant que elle fût prise, en étoit bien pourvue ; et aussi ils en avoient fait venir et apporter de Gand, quand ils sçurent que ils auroient le siége.

Entrementes que on séoit devant le Dam, ceux de l’Escluse, voire les aucuns et les plus notables de la ville qui pour le temps l’avoient à gouverner, furent inculpés d’une grand’trahison que ils vouloient faire au roi de France ; car ils devoient livrer l’Escluse à ses ennemis, et devoient le seigneur de Herbannes, capitaine de la ville, et toutes ses gens meurdrir en leurs lits, et devoient bouter le feu en la navie du roi de France qui là s’arrêtoit à l’ancre, qui étoit grande et grosse, et moult y avoit de belles pourvéances ; car en devant la prise du Dam le roi de France avoit intention d’aller en Escosse après son amiral. Encore devoient ces males gens de l’Escluse rompre les digues de la mer pour noyer tantôt l’ost ; et de ce avoient-ils marchandé à ceux de Gand, si comme il fut sçu depuis. Et devoient toutes ces trahisons faire sous une nuit, et l’eussent fait ; mais un prudhomme de la ville, si comme Dieu le voult consentir, entendit en un hôtel, où ils pourparloient de leur trahison, toutes leurs paroles : si vint tantôt au seigneur de Herbannes, et lui dit ainsi : « Tels gens et tels, et les nomma par nom et surnom, car bien les connoissoit, doivent faire telle trahison. » Et quand le chevalier l’entendit, si fût tout ébahi ; et prit ceux de sa charge, où bien avoit soixante lances, et s’en alla de maison en maison à ceux qui la trahison avoient pourpensée, et les prit tous ; et les fit mettre en divers prisons et bien garder ; et puis monta tantôt à cheval et vint devant le Dam en la tente du roi. À celle heure y étoit le duc du Bourgogne ; là leur recorda le chevalier toute l’affaire ainsi comme il alloit, et comment la ville de l’Escluse avoit été en grande aventure d’être prise et trahie, et tout l’ost, sous une nuit, d’être en l’eau jusques à la boudine.

De ces nouvelles furent les seigneurs moult émerveillés ; et dit le duc de Bourgogne au capitaine : « Sire de Herbannes, retournez à l’Escluse et ne les gardez point longuement ; faites les tous mourir, ils ont bien desservi mort. » À ces paroles se partit le chevalier et s’en retourna à l’Escluse ; et furent tantôt décolés ceux qui celle trahison avoient pourparlée.

En celle propre semaine jeta son avis le duc de Bourgogne à faire traiter devers son cousin messire Guillaume de Namur, pour avoir l’Escluse en héritage et ajouter avecques la comté de Flandre ; et lui rendre terre ailleurs en France ou en Artois, par manière d’échange, qui lui fût aussi profitable en rente et en revenues comme la terre de l’Escluse est. Et de tout ce avisa le dit duc messire Guy de la Trémoille ; car en l’été, atout grands gens d’armes, il avoit séjourné à l’Escluse. Si en fit traiter le duc devers son cousin par ceux de son conseil ; car il étoit en l’ost à grands gens d’armes venu servir le roi.

Quand messire Guillaume de Namur fut premièrement aparlé de celle matière et marchandise, ce lui vint à grand contraire et déplaisance