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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/350

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

et veuil obéir, et qui m’a ci envoyé à la prière et requête de vous ; si vous en vueil souvenir. » — « C’est vérité, répondirent les dessus dits ; car si la bonne ville de Gand ne vous eût mandé vous fussiez mort ; mais pour l’honneur du roi d’Angleterre qui ci vous envoya à notre requête, vous n’aurez garde, ni tous les vôtres ; mais vous sauverons et garderons de tous dommages ; et vous conduirons et ferons conduire jusques en la ville de Calais. Si vous partez d’ici, vous et vos gens, tout paisiblement, et vous retrayez en vos hôtels, et ne vous mouvez pour chose que vous oyez ni véez ; car nous voulons être et demeurer de-lez notre naturel seigneur, monseigneur le duc de Bourgogne, et ne voulons plus guerroyer. » Le chevalier qui fut tout joyeux de celle parole répondit : « Beaux seigneurs, puisqu’il ne peut être autrement, Dieu y ait part ! et grand merci de ce que vous nous offrez et présentez. »


CHAPITRE CCXLI.


Comment lettres patentes furent octroyées du duc de Bourgogne aux Gantois et publiées à Gand, et comment Piètre du Bois se retrait en Angleterre avec messire Jean le Boursier, Anglois.


Adonc se départirent de la place tout paisiblement messire Jean le Boursier et les Anglois de sa route. Et les Gantois qui étoient en sa compagnie se commencèrent à demucier, et se retrairent tout bellement entre les autres, et se boutèrent dessous leurs bannières.

Assez tôt après entra en la ville de Gand messire Jean Delle, si comme il devoit faire ; et s’en vint au marché des vendredis, pourvu et conforté de belles lettres scellées et ordonnées de beaux langages et de beaux traités, qui étoient envoyées, par manière de moyen, de par le duc de Bourgogne à la ville de Gand ; et là furent lues, montrées et ouvertes à tous gens, lesquelles choses plurent moult au peuple. Adonc fut François Acreman mandé au chastel de Gavre, lequel vint tantôt et s’accorda à tous ces traités, et dit que c’étoit très bien fait ; et que d’avoir paix par celle manière à son naturel seigneur, il n’étoit point bon ni loyal qui le déconseilloit.

Sur cel état fut renvoyé messire Jean Delle devers monseigneur de Bourgogne qui se tenoit à Arras, et la duchesse aussi. Si leur recorda toute l’ordonnance de ceux de Gand ; et comment ils avoient exploité et été armés sur le marché des vendredis et comment ils étoient tous désirans de venir à paix ; et comment Piètre du Bois n’y avoit mais ni voix ni audience, mais avoit été sur le point d’être occis si il fut demouré au marché, mais François Acreman s’acquittoit vaillamment et loyaument de la paix.

Toutes ces choses plaisirent grandement au duc de Bourgogne ; et scella une trève et un répit à durer jusques au premier jour de janvier ; et ce terme pendant, un parlement et une journée de paix devoit être assigné en la cité de Tournay. Et tout ce rapporta-t-il écrit et scellé en la ville de Gand, dont toutes gens orent grand’joie ; car à ce qu’ils montroient ils désiroient moult à venir à paix ; et François Acreman s’y inclina grandement ; et montroit bien en toutes ses paroles que il étoit pour le duc de Bourgogne.

Encore se tenoit messire Jean le Boursier et les Anglois aussi, et Piètre du Bois, en la ville de Gand ; mais on ne faisoit rien pour eux des ordonnances de la ville ni de tous ces traités, car ils vouloient demeurer Anglois ; et étoit tenu Piètre du Bois en paix, parmi tant qu’il avoit juré qu’il ne traiteroit jamais ni ne procureroit nulle guerre ni rancunes des bonnes gens de Gand envers le duc de Bourgogne leur seigneur ; et de ces doutes et périls l’avoit ôté François Acreman qui avoit parlé pour lui, et remontré à ceux de Gand qu’ils se forferoient trop grandement et amoindriroient de leur honneur, s’ils travailloient ni occioent Piètre du Bois, qui leur avoit été si bon et si loyal capitaine que oncques en nul suspecion ni trahison ne le desvirent.

Par ces paroles et par autres demeura Piètre du Bois en paix envers ceux de Gand ; car bien savoient toutes gens que François Acreman disoit vérité, et que Piètre du Bois leur avoit été, tenant leur opinion, bon capitaine.

Les trèves durans, qui furent prises, jurées et scellées entre le duc de Bourgogne et la ville de Gand, furent ordonnés tous ceux qui iroient à Tournay de par la bonne ville de Gand ; et par espécial François Acreman y fut élu au premier chef, pour tant qu’il étoit gracieux homme et traitable et bien connu des seigneurs. Aussi y furent principalement avecques lui Roger Eurewin et Jacques d’Ardembourch ; et vinrent aux