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CHRONIQUES DE J. FROISSART. LIVRE II.

rent occis. Jamais sur cel état je ne m’y oserois assurer. Et vous voulez demeurer avecques ces faux traîtres qui ont leur foi mentie envers le roi d’Angleterre ! Je vous jure loyalement que vous en mourrez[1]. » — « Je ne sais, dit François ; je me confie tant en la paix et ens ès promesses de monseigneur de Bourgogne et de madame que voirement y demeurerai. »

Piètre du Bois fit une requête et prière aux échevins et doyens, conseil et maîtres de la ville, en eux remontrant et disant : « Beaux seigneurs, à mon loyal pouvoir j’ai servi la bonne ville de Gand et me suis moult de fois aventuré pour vous ; et pour les beaux services que je vous ai faits, en nom de guerredon, je ne vous demande autre chose que vous me veuillez conduire ou faire conduire sûrement et paisiblement moi et le mien, ma femme et mes enfans, et en la compagnie de messire Jean le Boursier, que vous mandâtes, en Angleterre, et je ne vous demande autre chose. » Tous répondirent que ils le feroient volontiers. Et vous dis que sire Roger Eurewin et Jacques d’Ardembourch, par lesquels celle paix avoit été toute traitée et démenée, si comme ci-dessus est dit, étoient plus joyeux de son département que courroucés ; et aussi étoient aucuns notables de Gand, qui ne vouloient que paix et amour à toutes gens,

Lors se ordonna Piètre du Bois et se partit de Gand en la compagnie de messire Jean le Boursier et des Anglois, et emmena tout le sien. Et vous dis qu’il s’en alla bien pourvu d’or et d’argent et de beaux joyaux. Si le convoia messire Jean Delle, sur le sauf-conduit du duc de Bourgogne, jusques en la ville de Calais ; et puis retournèrent les Gantois.

Messire Jean le Boursier et Piètre du Bois s’en allèrent en Angleterre au plutôt comme ils purent ; et se représentèrent au roi et à ses oncles, et leur recordèrent l’ordonnance et l’affaire de ceux de Gand, et comment ils étoient venus à paix. Le roi fit bonne chère à Piètre du Bois ; aussi firent le duc de Lancastre et ses frères, et lui sçurent grand gré de ce que il étoit là trait et avoit laissé pour l’amour d’eux ceux de Gand. Si le retint le roi et lui donna tantôt cent marcs de revenue par an, assignés sur l’estape des laines, à prendre à Londres.

Ainsi demeura Piètre du Bois en Angleterre, et la bonne ville de Gand à paix. Et fut sire Roger Eurewin doyen des navieurs de Gand, qui est un moult bel office et de grand profit quand la navire cueurt et marchandises ; et sire Jacques d’Ardembourch fut doyen des menus métiers, qui est aussi un grand office en la ville de Gand.


FIN DU LIVRE II.
  1. Ackerman fut en effet assassiné plus tard par un bâtard du sire de Harcelles.