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ADDITION AU LIVRE II.

pitre, on lit dans le manuscrit les détails additionnels suivans :

« Et il le fist ainsi. Et Regnier Campion dit à la femme : « Or ne t’esmaie ne effraie de chose que tu voises ne oyes, et fay ce que je te commanderay en portant bonne bouche. » Elle respondy que aynsi feroit-elle. Regnier se party, et la femme fist l’ensonnyée aval sa maison et autour du feu, et à ung autre petit enfant qui gisoit en ung repos. Le conte de Flandre entra en ce sollier, et se boutta, au plus bellement et quoyement que il peult, entre la queutte et l’estrain de ce povre lit, et là se mucha et fist le petit, car faire lui convenoit. Regnier Campion ne s’oublya mie, ains vint au toucquet de la ruelle avec les premiers routtiers qui entrèrent en celle ruelle. Et se bouta et alla de maison en maison avec eux, tant que ils vindrent en la maison de la dicte povre femme. Ils trouvèrent celle povre femme séant à son feu, qui tenoit son petit enfant. Tantost Regnier lui demanda : « Femme, où est ung homme que nous avons veu entrer chéans, et puis l’uis reclore ? » — « Et par ma foi, ce dist elle, je ne véy huy de celle nuyt entrer homme chéans. Mais j’en issy n’a pas granment, et jectay ung peu d’eaue hors, et puis recloy mon huys, et je ne le saroie où muchier. Vous véez touttes les aisemens de céans. Véez là mon lit, et là dessous gisent mes enfans. »

« Donc demanda Regnier de la chandeille. Elle lui bailla ; et Regnier monta amont sur une petite eschielle, et bouta sa teste au sollier, et regarda amont et aval, et fist semblant que il n’y eust nullui. Adonc dist à ses compaignons : « Alons ! alons ! nous perdons le plus pour le moins. On ne peult trouver richesses en povres gens. La povre femme dist vray ; il n’y a ame chéans fors li et ses enfans. » À ces paroles yssirent hors de la maison de la femme et s’en alèrent. Et oncques depuis n’y vint nuls qui mal y voulsist.

« Toutes ces parolles avoit ouyes le conte de Flandre, qui estoit quatis et muchiés desoubs ce povre literon. Or povez bien croire que il n’estoit point asseurés de sa vie ; car il estoit au volloir d’aultruy.

« Or regardez, vous qui ouez ceste histoire, les merveilleuses adventures ou fortunes qui adviennent par le plaisir de Dieu ; car aultrement il n’en fust rien, sur ce grant seigneur et prince, le conte de Flandre, Loys : que au matin il se véoit et estoit l’un des plus grans princes de la terre des crestiens, par linaige et par puissance de pays ; car lui estant bien de ses gens de Franche, nuls aultres princes ne lui povoit grever ne nuyre ; et si estoient de xvii royaulmes, tous desirans d’envoyer en sa conté de Flandre leurs denrées à point pour vendre ; et au vespre il le convint reponre et muchier en celle povre maison de povre femme. Car la maison n’estoit pas maison de tel prince ne seigneur, de salles, de chambre, ne de tel chose qu’il fault à ung hostel de prince ; ains estoit une povre maisoncelle enfumée, aussi noire que ung aisement de fumière de tourbes ; et n’y avoit en celle maison fors le boughe de devant, et une povre tentelette de vièse toille enfumée, pour esconser que le vent ne frappast au feu ; et son lit estoit par terre, et par dessus ung povre sollier auquel on montoit par une eschiellette de sept esquaillons. Et en ce sollier avoit un povre literon où les povres enfans de la femme gisoient.

« Ces merveilleuses adventures des fortunes donnent grant exemple à tous princes et touttes aultres gens : que les dons de fortune mondaine ne sont point estables, ne que nuls ne s’i doit fyer ne asseurer, quand ung tel prince et sire ne s’en peult asseurer. Donc chacun doit prendre en passience les fortunes que Dieu lui envoie ; car au besoing Dieu ne fault point à son amy, comme il ne fist à Joob, Boesce et Socrate, et fait et fera. »

« Nous lairons le conte de Flandre en ce party, et parlerons de ceulx de Bruges, et comme ceulx de Gand persévérèrent. Nous y reviendrons bien quand point sera. »

Les chapitres 129 et 130 du manuscrit, répondent au chapitre CLVIII de mon édition.

Le chapitre 131 est une addition nouvelle. Le voici tout entier :

CHAPITRE 131.

D’ung des cousins de Philippe d’Artevelle qui enfraindy iceulx bans, et comment il en fut pugny, et de quel mort.

Un peu après ces bans et ordonnances faictes et cryées, plaintes vindrent à Philippe d’Artevelle, que ung sien cousin germain, demy point mains, avoit pilliet, robet et efforchiet maisons. Quant Philippe le sceult, il manda et commanda que on ly fesist venir parler à luy. On le fist, il vint. Quant Philippe le véy, il lui dist : « Cousin,