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APPENDICE.



On a vu, dans ce deuxième livre, que le prince de Galles voulant couvrir les dépenses qu’il venait de faire pour replacer Pierre-le-Cruel sur le trône de Castille et s’acquitter envers les Compagnies, leva en Guyenne un nouvel impôt très considérable connu sous le nom de fouage[1]. Comme cet impôt devait s’étendre aux terres de la noblesse, qui prétendait avoir droit à une exemption générale des taxes, les principaux chefs féodaux portèrent leur plaintes par appel à Charles V, en qualité de seigneur suzerain. Le prince de Galles, se fondant sur les traités de Calais, signés après la bataille de Poitiers, refusa de reconnaître cette juridiction, et ceux qui examinent aujourd’hui cette affaire avec impartialité doivent reconnaître qu’en effet, le roi de France, du consentement des états, avait renoncé à toute souveraineté sur cette partie de la France, afin de conserver le faible reste de son royaume, et que ce n’était qu’à ce prix qu’Édouard avait renoncé lui-même au titre de roi de France et à ses prétentions sur la France entière. Le prétexte le plus plausible qu’eût à faire valoir Charles V, était le peu de soin que prenait le prince de Galles de réprimer les dévastations des Compagnies et d’exécuter fidèlement les traités. La querelle s’échauffa bientôt entre les deux souverains, et donna naissance à la guerre de 1369, qui, de toutes les guerres entreprises jusqu’alors par la France, est celle qui lui a été le plus avantageuse. Les Anglais possédaient les plus belles provinces de France et entretenaient des partisans dans toutes les autres. Mais autant l’Angleterre gouvernée par Édouard, avec des armées commandées par l’héroïque prince Noir, avait eu d’avantages sur la France, avec un roi aussi dénué de talens aussi obstiné dans ses principes de despotisme que l’était le roi Jean, autant sous l’habile Charles V les armées françaises, commandées par du Guesclin, purent reprendre d’ascendant sur les tentatives du faible Richard II. La guerre se continua pendant près de cent ans et ne fut interrompue que par quelques trêves. Les Anglais finirent par être successivement repoussés de toutes les provinces. La Pucelle et Dunois donnèrent à Charles VII le nom de Triomphant, et de toutes leurs conquêtes en France il ne resta plus aux Anglais que la ville de Calais, qui leur fût enlevée plus tard par le duc de Guise en 1557, et les îles normandes de Jersey, Guernsey et Alderney, qu’ils conservent encore.

Froissart a exposé avec beaucoup d’impartialité dans son histoire les argumens des deux partis, Les Chroniques de Saint-Denis rapportent aussi un mémoire dressé par le conseil de Charles V pour être présenté au roi d’Angleterre. Ce mémoire n’est rien autre chose qu’une espèce de manifeste dans lequel sont discutées avec beaucoup d’étendue toutes les raisons sur lesquelles Charles V fondait la justice de la guerre qu’il était sur le point de déclarer aux Anglais.

Théodore Godefroy a extrait d’une chronique manuscrite de la Bibliothèque du roi un fragment qu’il a publié sous le titre d’Entrevue de Charles IV, empereur et roi de Bohême, de son fils Wenceslas, roi des Romains, et de Charles V, roi de France, à Paris, l’an 1378, et dans lequel on trouve un exposé des motifs que Charles V donna lui-même à l’empereur pour sa justification.

Cette affaire est enfin amplement discutée dans les chapitres 145 et 146 du livre Ier du Songe du Vergier, composé en français vers la fin du règne de Charles V.

Il peut être intéressant pour la plus parfaite intelligence du droit féodal d’examiner les raisons données à cette époque par les écrivains des deux partis et par les adversaires eux-mêmes. Je rapporterai donc ici la partie du fragment de la chronique publiée par Théodore Godefroy relative à cette affaire.


I.


Apologie de Charles V, par lui-même, extraite d’une relation du voyage de l’empereur Charles IV en France, en 1378, faite par un témoin oculaire.


En ce temps estoit le roy en son conseil en sa chambre où estoient ses frères et grand’foison de prélats de son conseil et autres chevaliers en assez grand nombre ; et leur demanda et meit en termes, s’il leur sembloit que bon feut que à l’empereur son oncle, qui tant d’amour et fiance lui avoit monstré comme de venir en son royaume et par devers luy, il feroit monstrer

  1. Il avait levé un franc par feu, le riche portant le pauvre, et il avait obtenu 1,200,000 francs, pour son duché d’Aquitaine seul, qui comptait deux archevêchés et vingt-deux évêchés. M. Dureau-de-Lamalle a fait un Mémoire curieux sur la population de cette époque, en s’appuyant sur ces données.