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LIVRE III.

« Quand Limosin le sçut de vérité, il dit au seigneur de la Volte : « Sire, faites votre mandement, il est heure. Loys Rambaut est à Eause et repassera temprement. Je vous mènerai au détroit par où il faut qu’il passe. »

« Adonc le sire de la Volte fit son mandement et se fit chef de celle chevauchée ; et manda le bailli de Vellay, le seigneur de Mont-Clau, messire Guérart de Sallière et son fils, messire Ploustrart du Vernet, le sire de Villeneuve-le-Bas, et toutes les gens d’armes de là environ ; et furent bien trois cens lances. Et tous s’assemblèrent à Nonnay ; et par le conseil de Limousin on fit deux embûches. Le vicomte de Polignac et le seigneur de Calençon en eurent l’une à gouverner, le sire de la Volte, le sire de Mont-Clau, messire Loys de Tournon, le sire de Sallière eurent l’autre ; et avoient justement partis leurs gens. Et étoient le vicomte de Polignac et les siens sur un pas assez près de Saint-Rambert en Forez, où il convenoit que là Louis Rambaut et les siens passassent la rivière de Loire à pont, ou ils la passassent plus amont à gué dessus le Puy.

« Quand Louis Rambaut ot fait ce pourquoi il étoit venu à Eause, il se partit atout quarante lances ; et ne cuidoit avoir nulle rencontre et ne se doutoit en rien de Limousin ; c’étoit la mendre pensée que il eut. Et vous dis que, par usage, le chemin que il faisoit au passer il ne le faisoit point au retour. Au passer il avoit fait le chemin de Saint-Rambert, au retour il fit l’autre et prit les montagnes dessus Lyon et dessus Viane, et au-dessous du bourg d’Argental, et s’en alloit tout droit devers le Monastier, à trois petites lieues du Puy. Et avoit passé entre le chastel de Monistral et Montfaucon, et s’en venoit radant le pays vers un village que on dit la Baterie, entre Nonnay et Saint-Julien. Au bois là a un endroit où il faut que on passe comment que ce soit, ni on ne le peut eschiver qui veut faire ce chemin, si on ne va parmi Nonnay. Là étoit l’embûche du seigneur de la Volte où bien avoit deux cens lances. Louis Rambaut ne se donna de garde. Quand il fut en-mi eux, le sire de la Volte et ses gens, qui étoient tout pourvus de leur fait, abaissèrent les lances et s’en vinrent, écriant la Volte ! férir à ces compagnons qui chevauchoient épars et sans arroi. Là en y ot de première venue la greigneure partie de coups de lances rués par terre. Et fut Louis Rambaut jouté et porté jus de son cheval d’un écuyer d’Auvergne qui s’appeloit Amblardon de Villerague. On s’arrêta sur lui. Il fut pris, et tout le demeurant mort ou pris. Oncques rien n’en échappa. Et trouvèrent en bouges la somme de trois mille francs que Louis Rambaut avoit reçu à Eause pour le pactis des villages de là environ, dont les compagnons orent grand’joie, car chacun en ot sa part.

« Quand Limousin vit Louis Rambaut ainsi attrapé, il se montra en sa présence et dit par ramposne : « Louis, Louis, ci fauldra compagnie. Souvienne-vous du blâme et de la vergogne que vous me fîtes recevoir à Briude pour votre amie. Je ne cuidasse pas que pour une femme, si j’avois ma grâce à li et elle à moi, que vous me dussiez avoir fait recevoir ce que je reçus. Si la cause pareille fût advenue à moi, je ne m’en fusse jà courroucé, car deux compagnons d’armes, tels que nous étions lors, se pouvoient bien au besoin passer d’une femme. » De celle parole commencèrent les seigneurs à rire, mais Louis Rambaut n’en avoit talent.

« Par celle prise de Louis Rambaut rendirent ceux qui étoient en Briude la ville au sénéchal d’Auvergne, car puisqu’ils avoient perdu leur capitaine et toute la fleur de leurs gens, il n’y avoit point de tenue. Aussi firent ceux d’Eause et autres forts qui se tenoient en Vellay et en Forez de leur partie, et forent tous lies ceux qui enclos quand on les laissa partir sauves leurs vies. Lors Louis Rambaut fut amené à Nonnay et là emprisonné. On en escripsit devers le roi de France, lequel ot grand’joie de sa prise. Assez tôt après on en ordonna. Il me semble, à ce que j’ai ouï recorder, que il ot la tête coupée à Villeneuve de-lez Avignon ; et ainsi advint de Louis Rambaut. Dieu ait l’âme de lui.

« Or, beau sire, dit le bascot de Mauléon, vous ai-je bien tenu de paroles pour passer la nuit, et toutefois elles sont vraies. » — « Par ma foi, répondis-je, ouil et grand merci. À vos contes ouïr ai-je eu part autant que les autres ; et ils ne sont par perdus, car si Dieu me laisse retourner en mon pays et en ma nation, de ce que je vous ai ouï dire et conter, et de tout ce que je aurai vu et trouvé sur mon voyage, qui appartienne à ce que je en fasse mémoire en la noble et haute histoire de laquelle le gentil