Aller au contenu

Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/420

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
414
[1388]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

comte Guy de Blois m’a embesogné et ensoigné, je le croniserai[1] et escriprai, afin que, avecques les autres besognes dont j’ai parlé en la dite histoire, et parlerai et escriprai par la grâce de Dieu en suivant, il en soit mémoire à toujours. »

À ces mots prit la parole le Bourg de Campane qui s’appeloit Ernauton, et commença à parler ; et eut volontiers, à ce que je me pus apercevoir, recordé la vie et l’affaire de lui et du Bourg anglois, son frère, et comment ils s’étoient portés en armes en Auvergne et ailleurs ; mais il n’eut pas le loisir de fair son conte ; car la gaite du chastel sonna pour assembler toutes gens d’aval la ville d’Ortais, qui étoient tenus d’aller au souper du comte de Foix. Lors firent ces deux écuyers allumer torches. Si nous partîmes tous ensemble de l’hôtel et nous mîmes au chemin pour aller au chastel, et aussi firent tous chevaliers et écuyers qui étoient logés en la ville.

CHAPITRE XVIII.

De l’état et ordonnance au comte de Foix ; et comment la ville de Saint-Irain se rebella pour les excès qu’on leur faisoit, dont ils en tuèrent plusieurs.


De l’état de l’affaire et ordonnance du gentil comte Gaston de Foix ne peut-on trop parler en tout bien, ni trop recommander, car pour le temps que je fus à Ortais je le trouvai tel et outre dont je ne puis mie de tout parler ; mais je sais bien que, par le temps que je y fus, je y vis moult de choses qui me tournèrent à grand’plaisance ; et là vis seoir à table le jour d’un Noël quatre évêques de son pays, les deux Clémentins et les autres deux Urbanistes : l’évêque de Pammiers et l’évêque de l’Escalle étoient Clémentins, ceux sirent au-dessus ; et puis après eux l’évêque d’Aire et l’évêque de Roy sur les frontières de Bordelois et de Bayonne, ceux étoient Urbanistes. Après séoit le comte de Foix et puis le vicomte de Roquebertin d’Arragon, le vicomte de Bruniquiel, le vicomte de Cousserant et un chevalier anglois que le duc de Lancastre, qui pour lors se tenoit à Lussebonne, avoit là envoyé, et nommoit-on ce chevalier messire Villeby. À l’autre table séoient cinq abbés tant seulement, et deux chevaliers d’Arragon qui s’appeloient messire Raymond de Saint-Florentin et messire Martin de Roanès ; à l’autre table séoient chevaliers et écuyers de Gascogne et de Bigorre. Premier, le seigneur d’Anchin et puis messire Gaillart de la Mote, messire Raymond du Chastel-Neuf, le sire de Chaumont, Gascon, le sire de Copane, le sire de la Lane, le sire de Mont-Ferrand, messire Guillaume de Benac, messire Pierre de Courton, le sire de Valenchin et messire Augier, le moine de Bascle[2] ; et aux autres tables chevaliers de Béarn grand’foison. Et étoit souverain maître de la salle messire Espaing de Lyon et quatre chevaliers maîtres d’hôtel, messire Chiquart du Bois-Verdun, messire Pierre de Cabestain, messire Nouvaus de Nouvaille et messire Pierre de Vaux en Béarn ; et servoient ses deux frères bâtards, messire Ernault Guillaume, et messire Pierre de Béarn ; et ses deux fils servoient devant lui, messire Yvain de l’Escale à asseoir tout seulement et messire Gratien de la coupe au vin. Et vous dis que grand’foison de menestrels, tant de ceux qui étoient au comte que d’autres étrangers, avoit en la salle, qui tous firent par grand loisir leur devoir de leur menestrandie. Et ce jour le comte de Foix donna, tant aux menestriers comme aux hérauts, la somme de cinq cens francs, et revêtit les menestriers du duc de Tourraine qui là étoient de drap d’or et fourré de fin menu-vair[3] ; lesquels draps furent prisés à deux cens francs ; et dura le dîner jusques à quatre heures après nonne.

Et pour ce parole-je très volontiers de l’état du gentil comte de Foix, car je fus douze semaines en son hostel, et très bien administré et délivré de toutes choses. Et durant le temps que je fus à Ortais je pouvais apprendre et ouïr nouvelles de tous pays, si je voulois, des présentes et des passées. Et aussi le gentil chevalier, messire Espaing de Lyon, en laquelle compagnie je étois entré au pays et auquel je m’étois découvert de mes besognes, m’accointa de chevaliers et d’écuyers qui me savoient recorder justement ce que je demandois et requérois à savoir. Si ap-

  1. Je l’écrirai en forme de chronique.
  2. Sinner, dans le deuxième volume de son catalogue des manuscrits de la bibliothèque de Berne, page 239 et suivantes, dit qu’il faut lire ici Basele et non Bascle, ce chevalier étant de la famille des Lemoine, de Bâle.
  3. Étoffe ou fourrure dont les taches étaient très petites, de façon que l’on avait peine à distinguer laquelle des couleurs était dominante.