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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/422

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

combattroit-il à quelque fin que il en dût venir, et de ce vous assurons-nous loyaument. Avecques tout ce, mes seigneurs qui ici êtes, votre querelle est toute claire à guerroyer et à chalenger le royaume de Castille et à le gagner, car l’héritage en appartient à vos femmes et enfans ; et pour le conquester vous ne pouvez avoir entrée en Castille de nul côté qui tant vous vaille comme celle de Portingal, puisque vous avez le pays d’accord. Si rendez peine que l’un de vous y vienne si puissamment que, avecques ceux que vous trouverez au pays, vous puissiez tenir les champs. »

Le duc de Lancastre répondit : « Il ne tient pas à nous, mais au roi et à son conseil et au pays d’Angleterre, et nous en ferons notre puissance ; de ce devez-vous être tous certains. »

En cel état finirent-ils leur parlement ; et demeurèrent les Portingalois à Londres attendant la Saint-Michel ; et le duc de Lancastre et le comte de Cantebruge retournèrent en leurs maisons sur le pays d’Angleterre en la marche du nord.

Or vint la Saint-Michel et le parlement à Westmoustier, et approcha le roi la contrée de Londres et s’en vint à Windesore et de là à Quartesie[1] et puis à Cenes[2] ; et toujours où que il alloit le suivoit la roine sa femme, et aussi tout son cœur le comte d’Asquesuffort ; car par celui étoit tout fait et sans lui n’étoit rien fait.

En ce temps que je parole étoient les guerres en Flandre entre le duc de Bourgogne et les Gantois, et étoient nouvellement retournés en Angleterre, l’évêque de Nordvich, messire Hue de Cavrelée, messire Guillaume Helmen, messire Thomas Trivet, et les autres qui avoient en cel été tenu le siége avecques les Gantois devant Ypres. Et puis vint là le roi de France, et les enclouy en Bourbourg, si comme il est contenu ci-dessus en notre histoire. Mais il y avoit trieuves entre les Flamands et les François et les Anglois, durant jusques à la Saint-Jean-Baptiste ; mais les Escots faisoient guerre. Pourquoi les Anglois se véoient moult entouillés ; et ne savoient auquel entendre : car aussi le conseil de Gand étoit à Londres qui requéroient à avoir un maimbour, pour aider à soutenir et à garder leur ville ; et tel maimbour comme l’un des oncles du roi ou le comte de Salebery. Aux parlemens qui furent en celle saison à Londres ot plusieurs consaulx et paroles jetées et réitérées, tant pour les Flamands que pour le pays de Portingal et aussi pour les Escots qui leur faisoient guerre. Le duc de Lancastre espécialement tiroit à ce que il pût avoir une bonne charge de gens d’armes et d’archers pour mener en Portingal ; et démontroit aux prélats et aux barons et au conseil des communautés des villes d’Angleterre comment on étoit tenu par foi, serment et alliance jurée, à lui aider et son frère à recouvrer leur héritage de Castille qui se perdoit ; et ce leur avoit-on promis quand leur nepveu le roi fut couronné, et apparoient toutes ces choses par lettres scellées. Et encore se complaignoit le duc du grief que on leur faisoit et à son frère que tant on y avoit mis au faire ; et que voirement son frère le comte de Cantebruge, selon ce que on lui avoit promis quand il alla en Portingal, on lui avoit petitement tenu ses convenances, car on lui devoit envoyer deux mille lances et autant d’archers, et rien n’en avoit été fait ; pourquoi la querelle de leur propre droit héritage étoit bien mise arrière.

Les paroles et remontrances du duc de Lancastre étoient bien ouïes et entendues, c’étoit raison. Et disoient les plus notables du conseil que il avoit droit ; mais les besognes de leur royaume, qui plus près leur touchoient, devoient aller devant lui. Aucuns vouloient que sa volonté fût accomplie ; et les autres à part remontroient et disoient que on feroit un grand outrage, si on dénuoit le royaume d’Angleterre de deux mille hommes d’armes et de quatre mille archers pour envoyer si loin comme au royaume de Portingal, car les fortunes de mer sont périlleuses et pernicieuses et l’air de Portingal chaud et merveilleux. Et si le pays d’Angleterre étoit affoibli de tant de gens, ce seroit un dommage sans recouvrance. Nonobstant tous ces points et argumens de toutes les doutes que mettre ni avenir y pouvoient, il fut adonc ordonné que, à l’été, le duc de Lancastre passeroit la mer et auroit en se compagnie sept cens lances et trois mille archers, et seroient payés tous ceux qui en ce voyage iroient pour un quartier d’an[3] ; mais on réserva que, si autres

  1. Cherisey.
  2. Sheen, aujourd’hui Richmond.
  3. Trois mois.