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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/423

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LIVRE III.

accidens touchans au royaume d’Angleterre mouvans du royaume de France ou du royaume d’Escosse leur venoient sur la main, le royaume de Portingal devoit être retardé. Le duc de Lancastre s’accorda à ce, car autre chose il n’en put avoir pour le présent.

Or savez-vous, si comme il est contenu ci-dessus en l’histoire, que quand le duc de Lancastre ot toutes ses gens appareillés et ses nefs prêtes à Hantonne pour faire son voyage en Portingal, et que les Ambaxadeurs de Portingal furent retournés à Lussebonne et orent apporté certificats de toutes ces besognes, et comment le duc de Lancastre devoit venir, et quelle charge de gens lui étoit baillée, dont les Portingalois avoient grand’joie, un grand empêchement vint en Angleterre, pourquoi il convint son voyage retarder une saison, car l’amiral de France, Jean de Vienne, atout mille lances de bonnes gens d’armes, monta en mer à l’Escluse, et alla en Escosse, et fit guerre en Angleterre ; dont le roi d’Angleterre et tout le pays allèrent au devant ; et il est contenu tout justement ci-dessus en l’histoire, si n’en ai que faire d’en parler deux fois ; mais vueil parler du siége de Lussebonne et du roi d’Espaigne, pour revenir à ma matière, et faire de tout juste narration, selon ce que j’en fus adonc informé.

Le roi Dam Jean de Castille étant à siége devant Lussebonne, nouvelles vinrent en son ost, par marchands de son pays qui venoient de Flandre et de Bruges, comment le duc de Lancastre s’appareilloit et ordonnoit, atout grand’gent d’armes et archers, de venir à Lussebonne et lever le siége. Ces nouvelles furent crues très bien, car bien savoit les Espaignols que le duc de Lancastre y mettoit toute sa peine et toute la diligence que il pourroit à guerroyer le royaume de Castille, car il y clamoit part. Nonobstant ces nouvelles, si tenoit le roi son siége, et avoit envoyé ses lettres et ses messages pour avoir secours de France ; et par espécial envoya au pays de Berne ; et tant que de la terre au comte de Foix, du pays de Berne, issirent en une route, en moins de quatre jours, plus de trois cens lances à élection, les meilleurs gens d’armes qui fussent en Berne ; et jà étoient passés à Ortais du royaume de France pour aller en Castille servir le roi : messire Jean de Roie, Bourguignon, messire Geffroy Ricon, Breton et Geffroy de Partenay ; et avoit chacun sa route.

Or s’appareillèrent ceux de Berne tels que je vous nommerai. Premiers un grand baron et compagnon au comte de Foix, le seigneur de Lignac, messire Pierre de Ker, messire Jean de l’Esprès, le seigneur de Berneke, le seigneur des Bordes, messire Bertran de Barége, le seigneur de Moriane, messire Raymon d’Ouzac, messire Jean Aseleghie, messire Monnaut de Saremen, messire Pierre de Sarabière, messire Étienne de Valencin, messire Raymon de Korasse, messire Pierre de Havefane, messire Augerot de Domessen et plusieurs autres ; et messire Espaignolet d’Espaigne, ains-né fils à messire d’Espaigne, cousin de lignage et d’armes au comte de Foix, se mit en la route des Bernois.

Ces barons et chevaliers de Berne firent leur assemblée de gens d’armes à Ortais, et là environ ; et me fut dit, de ceux qui les virent partir de la ville d’Ortais, que c’étoient les plus belles gens et les mieux armés et ordonnés que on eût grand temps vus yssir du pays de Berne.

Quand le comte de Foix vit que ce fut acertes que ils partiroient et s’en iroient en Espaigne, combien que au commencement il s’étoit assez assenti et accordé que ils reçussent les souldées du roi de Castille, si fut-il tout pensif et courroucé de leur département ; car il lui sembloit, et voir étoit, que son pays en affaiblissoit. Si envoya devers les barons, chevaliers et capitaines ci-dessus nommés, et leur fit dire par les chevaliers de son hostel, messire Espaing de Lyon et messire Pierre de Cabestain, que ils vinssent tous ensemble au chastel à Ortais, car il vouloit d’un dîner payer leur bien aller. Cils chevaliers obéirent, ce fut raison ; et vinrent à Ortais voir le comte qui les recueillit doucement et grandement ; et après sa messe, il les fit tous entrer en sa chambre de retrait, et puis commença par grand conseil à parler à eux, et dit : « Beaux seigneurs, est-ce donc votre entente que vous partirez de mon pays et me lairez la guerre en la main du comte d’Ermignac, et vous en irez faire la guerre pour le roi d’Espaigne. Celle départie me touche de trop près. » — « Monseigneur, répondirent ceux qui là étoient, ouil ; faire le nous faut, car sur cel état sommes-nous ordonnés, et avons reçu les gages du roi de Castille ; et c’est une guerre d’Espaigne et du Portingal qui tôt sera achevée. Si retournerons,