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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

les assiégeoit à puissance et ils véoient qu’ils ne pouvoient échapper, ils se boutoient en ces croutes et s’en alloient sans prendre congé. » — « Par ma foi ! dit messire Gautier, j’en prise bien l’ordonnance ; je ne sais si je serai jamais guerroyé de roi, ni de duc, ni de voisin que j’aie ; mais, moi retourné en mon pays, j’en ferai faire une dedans terre en mon chastel de Passac. »

Atant finirent leurs paroles ; et prirent la saisine du chastel, et puis ordonnèrent de mettre et laisser dedans gens d’armes et garnison pour le garder, et passèrent outre en entente de venir devant la ville et chastel de Cremale, dont Espaignolet de Paperan, Bascle, étoit capitaine atout grand’foison de pillards et rodeurs.

Tant exploitèrent les seigneurs, les gens d’armes et leurs routes que ils vinrent devant la garnison de Cremale en Rabestan, et là s’arrêtèrent, et mirent siége tout à l’environ. Là voult savoir messire Gautier au sénéchal de Toulouse et lui demanda si Cremale avoit été anciennement des chastels messire Regnault de Montauban. Il répondit : « Oil. » — « Et donc y a dedans une croute si comme aux autres ? » — « En nom Dieu, dit messire Hugues, c’est vérité ; croute y a voirement, et par croute le prit la seconde fois Espaignolet et le seigneur dedans » — « Faites venir, dit messire Guichart Daulphin, qui là étoit à ces paroles, le chevalier à qui il est. » — « C’est bon, ce dit messire Gautier de Passac ; si nous informerons à lui de la vérité. » Adonc fut appelé messire Raymond de Cremale, et lui fut demandé de la manière, ordonnance et condition du chastel, et si il y avoit une voie dedans terre croutée, si comme il y a à la Baussée. Il répondit : « Vraiment oil, car par la croute fus-je pris ; et l’avois condamnée grand temps à être perdue, mais les larrons qui tiennent mon chastel la remparèrent et me prirent par celle voie. » — « Et savez où elle vide ni où elle abouche, » dit messire Gautier. « Oil, monseigneur, dit-il ; elle vide en un bois qui n’est pas trop loin de ci. » — « C’est bien, » dit messire Gautier ; et se tut atant.

Quand ce vint au chef de quatre jours, il se fit là mener, et avoit en sa compagnie bien deux cents gros varlets du pays bien armés ; et s’en vint, et messire Raymond de Cremale en sa compagnie, jusques au bois où la croute se vidoit. Quand messire Gautier vit l’entrée, il la fit découvrir, et ôter la terre et les herbes et les ronces qui étoient à l’environ. Quand elle fut bien nettoyée, il fit allumer grand’foison de falots, et dit à ceux qui ordonnés étoient pour entrer dans celle croute ; « Entrez là dedans et suivez le chemin, il vous mènera en la salle du chastel de Cremale ; vous trouverez un huis, lequel vous romprez à force ; vous êtes gens assez pour tout ce faire et combattre ceux dudit chastel. » Ils répondirent : « Monseigneur, volontiers. » Ils entrèrent dedans, et cheminèrent tant que la voie les amena au degré prochain de la porte par où on entroit en la salle du chastel. Lors commencèrent-ils à férir et à frapper contre l’huis de grandes guignies pour dérompre et briser la porte, et étoit ainsi que sur jour faillant. Les compagnons du chastel faisoient bon guet. Si entendirent que on vouloit par la croute entrer au chastel ; ils saillirent tantôt sus et allèrent celle part. Espaignolet, qui se devoit coucher, y vint et donna conseil de jeter bois, pierres et autres choses au pertuis de la croute pour ensonnier tellement l’entrée que on ne la put décombler. Tantôt fut fait ; autre défense n’y convenoit. Nonobstant, ceux qui ens ou conduit étoient charpentèrent tant de leurs haches que la porte fut en cent pièces, mais pour ce n’eurent-ils pas délivré l’entrée, ainçois eurent-ils plus à faire que devant. Quand ils virent que c’étoit impossible d’entrer par là, si se mirent au retour en l’ost, et étoit environ mie-nuit. Si recordèrent aux seigneurs quelle chose ils avoient trouvée, et comment ceux de Cremale s’étoient perçus de leur affaire, et avoient tellement ensonnié la voie et l’entrée que par là impossible étoit d’entrer au chastel.

CHAPITRE XXIV.

Comment le chastel de Cremale et le chastel du Mesnil, séans ès parties de Bigorre, furent pris par les François et tous ceux dedans morts et pendus.


Adonc se cessa cel avis, et fut mandé l’engin où les arbalêtriers se tenoient pour traire quand on vouloit assaillir, qui étoit encore à la Baussée[1]. Il fut tout mis par pièces et charrié devant Cre-

    razin Ferragus, et l’on voit à Roncevaux le tombeau des douze pairs. Et qui n’a pas lu dans son enfance le merveilleux livre des quatre fils Aymon et de leur cousin le subtil Maugis ? »

  1. Basée ou Barsoins, dans le comté de Pardiac. (Voyez l’Histoire de Languedoc, année 1384.)