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LIVRE III.

Bretagne qui sont moult périlleuses, se mit tout devant et montra voie. Et pour ces jours le temps étoit si beau et si joli, et les eaux si quoies et si attrempées, que c’étoit grand’plaisance à aller par mer et sur l’eau. Et singlèrent ces nefs d’Angleterre et ces gallées de Portingal aval le vent, qui à point ventoit, devers l’embouchure de Brest. Et attendirent les mariniers la marée si à point, car bien s’y connoissoient, que avecques le flot ils entrèrent au hâvre de Brest.

Grand’plaisance étoit de ouïr ces claironceaux des barges et des galées eux demener et ceux du chastel aussi. Messire Jean de Malestroit, le vicomte de Combour et Morfonace séoient à celle heure au dîner. Quand les nouvelles leur vinrent que les Anglois et l’armée d’Angleterre étoient venus, si assaillirent tantôt sus et coururent aux armes, car bien savoient, puisque le duc de Lancastre et ses gens avoient là pris terre, que ils seroient combattus, et que les Anglois étoient là arrivés pour lever les bastides : tous furent armés et appareillés, et en bonne volonté d’eux défendre si on les assailloit. Si se trouvèrent bien trois cens hommes d’armes, chevaliers et écuyers. Moult furent les Anglois réjouis, quand ils furent au hâvre de Brest et ils orent entendu que les Bretons tenoient leur bastide et ne l’avoient pas laissée. Si dirent qu’ils les iroient voir et combattre, car ils avoient grand’faim et grand’volonté de faire fait d’armes encontre les François.

CHAPITRE XXXIII.

Comment le duc de Lancastre se partit de devant Brest en Bretagne, et comment il s’en vint par mer devant la Calongne au royaume de Castille.


Or prindrent le duc de Lancastre et ses gens terre assez près du chastel de Brest et du hâvre, et laissèrent leurs chevaux et leurs pourvéances en leurs nefs ; mais les dames et les damoiselles issirent hors pour eux rafreschir. Le premier jour ils n’entendirent point à l’assaillir, fors que de eux mettre à point et loger sur terre par trois ou quatre jours ; et tendirent les aucuns des seigneurs tentes et pavillons sur les champs contreval le hâvre, assez près de la mer et du chastel de Brest, et là se tinrent tout le jour et la nuit aussi. Quand ce vint à lendemain, le connétable et le maréchal de l’ost firent sonner les trompettes, en signe que on s’armât et mît en ordonnance pour aller assaillir. Donc s’armèrent toutes gens et se tinrent par bon arroy et par bonne ordonnance devers le chastel et les bastides qui étoient faites, ouvrées et charpentées de grand’manière ; et fut pour demeurer là dedans vingt ans ; et y avoit autour des bastides, fossés, portes, tours et bons murs et tout de gros bois. Or vinrent chevaliers et écuyers d’Angleterre qui vouloient et désiroient faire fait d’armes jusques aux barrières de la bastide. Si commencèrent à escarmoucher de grand’façon et de bonne volonté pour conquérir les bastides et ceux qui dedans étoient, et chevaliers et écuyers bretons dont il y avoit grand’foison et de bons, à eux défendre ; et pour avoir les armes mieux à main, ils firent ôter les bailles des défenses ; dont ils firent grand’folie ; mais ils se confioient en leur chevalerie, et vraiment il en y avoit assez. Là put-on voir grand foison de beaux faits d’armes et de durs rencontres, et de forts poussis de lances ; et en avoient le meilleur ceux qui pouvoient bien porter longuement haleine. Toutefois Anglois étoient grand’foison : si donnoient moult à faire par armes aux Bretons. Et par bien combattre ils gagnèrent les bailles ; et y ot dedans le dos de la ville plus de cent hommes d’armes, et furent Bretons sur le point de tout perdre. Quand messire Jean de Malestroit et le vicomte de Combour en virent la manière, si écrièrent leur cri et dirent : « Et comment, seigneurs, perdrons-nous ceci ainsi ? Avant ! avant ! or, au bien penser, si ne convient faire nulle feinte, mais mort ou honneur. »

Adonc se remistrent ensemble de grand courage les Bretons, et fichèrent leurs lances et glaives en terre, et s’appuyèrent fortement sur leur pas, et boutèrent de bras et de poitrines courageusement sur ceux qui les avoient reculés et boutés des barrières dedans la ville. Là étoient les armes faites belles à voir : là convint de force et de fait les Anglois reculer ; car ils furent si bien poussés et si durement que ils ne purent gagner terre ; et furent remis tous hors des bailles, et bien férus et battus ; ni oncques depuis ils ne purent gagner pour celle journée.

D’autre part, sur un autre lez de la bastide, il y avoit une tour de pierre séant sur terre, au descendant d’une roche que les Bretons tenoient ; et l’avoient prise à l’avantage de leur bastide et