Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/499

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1386]
493
LIVRE III.

toient leurs ennemis près de l’ost, logés forts assez pour ruer jus cinq ou six cens fourrageurs ; et proprement le connétable et le duc de Lancastre l’en blâmèrent tant que il en fût tout honteux. Mais il se excusa et dit que sans celle fois ils y avoient été dix fois, et point n’y avoient les fourrageurs pris de dommage. « Messire Thomas, dit le duc, soyez une autre fois plus avisé, car ce avient à une fois en un jour qui point n’avient en cent. »

CHAPITRE XXXIV.

Comment le duc de Lancastre se partit de la Calongne et comment la ville de Saint-Jacques en Gallice se rendit à lui ; et du conseil que les barons de France donnèrent au roi de Castille.


Quand le duc de Lancastre ot séjourné à la Calongne environ un mois, si comme je vous conte, et que hommes et chevaux furent tous bien rafreschis, on ot conseil que on se délogeroit de là et s’en iroit-on devers la ville de Saint-Jacques en Gallice, où il avoit meilleur pays et plus gras et plus plein pour chevaucher : si comme il fut donné, il fut fait. On se délogea de la Colongne et puis on se mit au chemin, quand on ot tout troussé. Et chevauchoient en trois batailles. Le maréchal premier atout trois cens lances et six cens archers, et puis le duc, atout quatre cens lances, et toutes les dames en sa compagnie, et en l’arrière-garde étoit le connétable messire Jean de Hollande, et avoit largement et bien quatre cens lances et six cens archers ; et n’alloient que le pas ; et mirent trois jours à venir de la Calongne jusques à la ville de Saint-Jacques.

Vous devez savoir que le pays de Gallice pour la venue du duc de Lancastre étoit moult effrayé ; car ils resoignoient grandement sa puissance. Le maréchal de l’ost qui étoit en l’avant-garde s’en vint jusques à une ville que on appelle Compostelle au pays, où le corps de saint Jacques, que on requiert de si loin, gît et est. Quand il fut venu jusques à là, il la trouva fermée, ce fut raison ; mais il n’y avoit en garnison fors les hommes de la ville ; car nuls chevaliers de France ne la vouloient prendre à leur péril, pour la tenir ni garder honorablement jusques à outrance, car elle n’est pas trop forte, à bien parler, contre tels gens que le duc de Lancastre avoit mis au pays de Gallice. Le maréchal envoya devant son héraut pour savoir que ceux de Saint-Jacques disoient. Le héraut vint aux barrières et trouva le capitaine de la garde de la ville qui s’appeloit Alphonse de Sorie. Il lui dit : « Capitaine, cy un petit en sus est le maréchal de l’ost de monseigneur le duc de Lancastre qui m’envoie ici et parleroit volontiers à vous. » Dit le capitaine : « Il me plaît bien ; faites-le venir avant. Nous parlerons à lui. »

Le héraut retourna et dit au maréchal ces nouvelles. Le maréchal se départit, atout vingt lances tant seulement de la route, et s’en vint devant la ville de Compostelle, et trouva aux barrières le capitaine et aucuns hommes de la ville qui là s’arrêtoient. Le maréchal mit pied à terre, et vint lui troisième tant seulement ; ce furent le sire de Basset et messire Guillaume de Ferniton. Si dit : « Capitaine, et vous bonnes gens, monseigneur de Lancastre et madame de Lancastre votre dame, qui fut fille du roi Damp Piètre votre seigneur, m’envoient ici parler à vous pour savoir que vous voudrez dire et faire : si bellement vous les recueillerez, ainsi que bonnes gens doivent recueillir leur seigneur et dame, ou si vous vous ferez assaillir et prendre de force. Sachez que si vous êtes pris de force, que vous serez là-dedans tous mis à l’épée, parquoi les autres y prendront exemple. » — « Nous ne voulons ouvrer fors que par raison, et nous voudrions volontiers et loyaument nous acquitter envers ceux à qui nous sommes tenus. Bien savons que madame de Lancastre, madame Constance, fut fille au roi Damp Piètre de Castille, et que, si le roi Damp Piètre fût demouré au pays paisiblement, elle étoit droite héritière de Castille. Or sont depuis les choses muées autrement, car tout le royaume de Castille demeura quittement et paisiblement au roi Henry son frère, par la bataille qui fut à Montiel ; et jurâmes tous en ce pays à tenir le roi Henry à roi ; et il fut tenu tant comme il vesquit ; et aussi jurâmes-nous à tenir à roi le roi Jean son fils qui est à présent. Si vous plaît, vous nous direz quelle chose ceux de la Calongne ont dit ni fait envers vous ; car il ne peut être que ce mois que vous avez là séjourné et logé devant la ville, que vous n’ayez eu aucuns traités à eux. »

Répondit messire Thomas Moreaulx : « Vous dites voir. Nous les y avons voirement eus, autrement nous ne nous en fussions pas passés