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LIVRE III.

fossés à ramper contremont portant pics en leurs mains ou bâtons de fer dont ils s’appuyoient pour picqueter et empirer les murs. Là étoient les hommes de la ville amont qui leur jetoient à leur pouvoir sur leurs têtes pierres et cailloux, et les grévoient grandement ; et eussent encore plus fait, si n’eût été les archers qui étoient sur les fossés, mais ils traioient si ouniement que nul ne s’osoit montrer aux murs ; et en navrèrent et blessèrent plusieurs de ceux de dedans. Et par espécial le baillif de la ville fut féru d’une sajette qui lui perça le bassinet et la tête aussi, et le convint partir de sa défense et porter à l’hôtel.

Les menues gens de la ville n’en furent pas courroucés, pourtant que il ne vouloit pas que on rendesist la ville. Pour ce ne fut pas la ville prise si il fut navré, mais furent plus aigres et plus soigneux de défendre que ils n’avoient été en devant, et bien leur besognoit. Ainsi dura l’assaut jusques à la nuit que on sonna la retraite. Si en y eut de blessés d’une part et d’autre ; les Anglois se départirent de l’assaut, et s’en retournèrent à leurs logis, et avoient bien intention que à lendemain ils retourneroient à l’assaut et ne lairoient point la ville si seroit prise ou rendue. Celle nuit se conseillèrent ceux de Pontevrède ensemble et dirent : « Nous sommes folles gens qui nous faisons blesser et navrer ainsi pour néant : que ne faisons-nous ainsi que ceux de Ruelles[1] et de Ville-Lopes[2] ont fait, et autant bien ceux de la Calloingne excepté le chastel ; ils se sont rendus au duc de Lancastre et à madame Constance, fille qui fut au roi Dam Piètre, par condition telle que, si les bonnes villes d’Espaigne se rendent, ils se rendront aussi ; dont ils ont fait le mieux, car ils demeurent en paix. » — « En nom Dieu, dirent les autres, nous vouions ainsi faire ; mais le baillif le nous déconseilla, or en a-t-il eu son payement ; car grand’aventure sera si il ne meurt de la navrure que il a en la tête. » — « Or allons parler à lui, dirent aucuns, et lui demandons quelle chose seroit bonne à faire maintenant ; car pour certain nous aurons demain le retour des Anglois, ni point ne nous lairont en paix, ou ils nous auront par force ou par amour. »

CHAPITRE XLII.

Comment, après les alliances du duc de Lancastre faites au roi de Portingal, le maréchal de l’ost du dit duc chevaucha parmi Galice et y prit et mit en l’obéissance du dit duc Pontevrède et plusieurs autre villes.


À ce conseil se tinrent ceux de Pontevrède ; et s’en vinrent jusques à douze hommes des plus notables de la ville en la maison du baillif ; et me semble que on le nommoit Diantale de Léon. Ils le trouvèrent couché sus une couste en my sa maison ; et l’avoit-on tantôt appareillé de la navrure que il avoit eue ; et pourtant que la chose étoit nouvelle, il ne lui faisoit pas grand mal. Il fit bonne chère à ceux que il connoissoit et qui venus voir l’étoient et leur demanda de l’assaut comment il avoit été persévéré. Ils dirent : « Assez bien, Dieu merci ! excepté de vous, nous n’y avons point pris de dommage ; mais de matin vient le fort, car nous sommes tous confortés que nous aurons l’assaut, et nous ne sommes pas gens de défense, fors simples gens qui ne savons que ce monte. Si venons à vous à conseil pour savoir quelle chose nous ferons : ces Anglois nous menacent malement fort que, si nous sommes pris par force, ils nous mettront tous sans merci à l’épée et perdrons le nôtre davantage. » — « En nom Dieu ! répondit Diantale de Léon, vous ne pouvez jamais avoir blâme de vous rendre ; mais traitez envers eux sagement ; et faites, si vous pouvez, que ils ne soient pas seigneurs de main mise de celle ville ; dites-leur que vous vous mettrez volontiers en l’obéissance du duc de Lancastre et de madame, ainsi comme ceux de la Caloingne ont fait, car oncques Anglois n’entrèrent en la ville. Ils leur ont bien envoyé au dehors des pourvéances pour leurs deniers prendre et payer ; ainsi le ferez-vous, si vous m’en croyez, si faire le pouvez ; je crois que ils prendroient volontiers l’obéissance ; car il y a encore moult de villes à conquester en Galice. Si s’en passeront légèrement. » — « Vous dites bien, répondirent-ils, nous le ferons ainsi, puisque vous le nous conseillez. »

À ce conseil se sont tenus ceux qui là étoient venus et passèrent la nuit au mieux qu’ils purent. Quand ce vint au matin, ainsi comme à soleil levant, ils ordonnèrent hommes que ils mirent hors de leur ville, qui étoient informés et chargés de porter et faire les traités au maréchal ; ces hommes étoient sept et n’étoient pas trop bien

  1. Roalès.
  2. Villalobos.