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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/524

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

vêtus, mais moult mal, nuds pieds et nuds chefs, mais bien savoient parler. Et s’en vinrent tous sept en cel état devers le maréchal, qui jà s’ordonnoit pour retourner à l’assaut. On lui amena ces hommes devant lui, lesquels se mirent à genoux en sa présence et le saluèrent, et dirent en leur langage espaignol : « Monseigneur, nous sommes envoyés ci de par ceux de la ville de Pontevrède qui disent ainsi, et nous pour eux, que volontiers ils se mettroient en votre obéissance, c’est à entendre de monseigneur de Lancastre et de madame, en la forme et manière que ceux de la ville de la Caloingne ont fait. Des biens et des pourvéances de la ville aurez-vous assez pour vos deniers, courtoisement prendre et courtoisement payer ce que les choses vaudront à la journée. Et est l’intention de ceux qui ci nous envoient que vous ne les efforcerez plus avant ; ni vous ni homme de par vous n’y entrera à main armée ; mais si vous et aucuns des vôtres y voulez venir tout simplement, vous serez le bienvenu. »

Le maréchal avoit de-lez lui un Anglois qui bien savoit entendre le Galicien ; si lui disoit en Anglois toutes ces paroles, si comme ceux les disoient. Le maréchal étoit bref ; si fut tantôt conseillé de répondre et dit : « Retournez à la ville et faites venir aux barrières pour parler à moi ceux qui ici vous ont envoyés ; je leur donne assurance ce jour et demain, si nous ne sommes d’accord, jusques à soleil levant. » Ils répondirent : « Volontiers, sire. » Lors se départirent et retournèrent devers la ville de Pontevrède et trouvèrent aux barrières la greigneur partie de ceux de la ville, auxquels ils firent tantôt réponse et relation de leur ambassaderie, car ils en furent demandés. Ils dirent : « Tantôt viendra le maréchal ; si vous n’êtes gens assez, si assemblez ceux que vous voudrez avoir. » — « Dieu y ait part, » dirent-ils. Aussi furent tous les hommes notables de la ville là assemblés. Adonc virent venir messire Thomas Moreaux, maréchal, et en sa route espoir soixante chevaux ; pour l’heure n’en y avoit plus : et tantôt que il fut venu, il descendit devant la barrière et tous ses gens aussi, et puis parla et dit ainsi :

« Entre vous, hommes de Pontevrède, vous nous avez envoyé sept de vos hommes, et crois bien de ma partie que vous y ajoutez foi : ils ont dit ainsi, que volontiers vous reconnaîtrez à seigneur et à dame monseigneur de Lancastre et madame, en la forme et manière que ceux de la Caloingne ont fait ; mais vous ne voulez avoir autre gouverneur que de vous-mêmes. Or me dites, je vous prie, quelle seigneurie y auroit monseigneur, si il n’avoit là dedans gens de par lui ? Quand vous voudriez, vous seriez à lui, et quand vous voudriez, non. Sachez que c’est l’intention de moi et de mes compagnons, que je vous ordonnerai un bon capitaine loyal et prud’homme qui vous gouvernera et gardera et tiendra et fera justice à tous ; et seront mis hors tous les officiers du roi de Castille ; et si ainsi ne voulez faire, répondez-moi ; nous sommes avisés et conseillés quelle chose nous devons faire. » Adonc demandèrent-ils un petit de conseil et se conseillèrent, et puis parlèrent et dirent : « Monseigneur, nous nous confions grandement en vous et en vos paroles ; mais nous doutons les pillards, car nous avons été tant battus de telles gens du temps passé, quand messire Bertrand De Clayaquin et les Bretons vinrent premièrement en ce pays, que ils ne nous laissèrent rien, et pour ce les ressoignons-nous, » — « Nennil, répondit messire Thomas, jà pillard n’entrera en votre ville ni vous n’y perdrez rien par nous, nous n’en demandons que l’obéissance. » À ces paroles furent-ils d’accord.

Adonc entra le maréchal, et les Anglois qui là étoient, en la ville tout doucement et l’ost se tint toute coie à leurs logis et tentes du dehors. On leur envoya vingt quatre sommades de bon vin et autant de pain et douze bacons, et de la poulaille grand’foison pour les seigneurs ; et le maréchal demeura ce jour en la ville, et y mit et fit officiers de par le duc de Lancastre ; et y ordonna un Galicien homme de bien à capitaine, lequel avoit toujours été en Angleterre avecques madame Constance et duquel ceux de Pontevrède se contentoient grandement ; et demeura là le maréchal toute la mut, et à lendemain après boire il retourna en l’ost.

Or orent-ils conseil que ils se trairoient devant une autre ville qui leur étoit rebelle aussi, à six lieues de là, au pays de Galice, laquelle on appeloit Vigho. Si se mirent au chemin et firent tant, que ce jour ils envoyèrent au devant, quand ils furent à deux lieues près, que ils se voulsissent rendre, ainsi que ceux de Rouelles et de Pontevrède étoient rendus, ou ils auroient au