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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

commença à parler à eux, car bien savoit leur langage, car il étoit de Portingal, et étoit nommé Conimbre, et étoit au roi : « Entre vous, hommes de celle ville, dit-il en bon Galicien, quelle chose avez-vous en pensée à faire ? Vous ferez-vous assaillir ou si vous vous rendrez doucement, et viendrez à obéissance à votre seigneur et à votre dame, monseigneur et madame de Lancastre ? Monseigneur le maréchal et ses compagnons m’ont envoyé ici pour savoir que vous en voudrez faire et tantôt répondre. »

Les hommes de la ville boutèrent lors leurs têtes ensemble et commencèrent à murmurer et à parler et à demander l’un à l’autre : « Avant, que ferons-nous ? Nous rendrons-nous simplement ou nous défendrons-nous ? » Là dit un ancien homme, lequel avoit plus vu que les autres, si savoit des choses assez par expérience : « Beaux seigneurs, il convient ici avoir bref conseil. Encore nous font les Anglois grand’courtoisie, quand ils mettent l’assaut en souffrance tant que nous soyons conseillés. Vous voyez que nul confort ne vous appert de nul côté et que le roi de Castille sait bien en quel état nous sommes, et a sçu, depuis que le duc et la duchesse arrivèrent à la Caloingne. Il n’y a rien pourvu ni n’est apparent de pourveoir ; si nous nous faisons assaillir, il est vérité que celle ville est de grand tour et de petite défense et que nous ne pourrons pas partout entendre. Anglois sont subtils en guerres et se péneront de nous gagner pour la cause du pillage, car ils sont convoiteux, aussi sont toutes gens d’armes. Et celle ville est renommée de être plus riche assez que elle n’est. Si que je vous conseille, et pour le mieux, que nous nous mettons doucement en l’obéissance de monseigneur et de madame de Lancastre, et ne soyons pas si rudes ni si rebelles que nous nous fassions perdre davantage, puisque bellement et par moyen nous pouvons venir à paix. C’est le conseil que je vous donne. » — « En nom Dieu, répondirent les autres, nous vous croirons, car vous êtes en Bayonne un homme de parage et pour qui on doit moult faire ; et nous vous prions que vous fassiez la réponse au héraut. » — « Volontiers, dit-il, mais il faut que il ait de notre argent. Si nous fera courtoisie, et nous portera bonne bouche envers ses seigneurs qui ci l’ont envoyé. »

CHAPITRE XLIII.

Comment ceux de Bayonne en Espaigne se rendirent au duc de Lancastre, et comment le maréchal de son ost entra dedans et en prit la saisine et possession.


Adonc vint le prud’homme de Bayonne, qui montroit bien à être homme de grand’prudence, et me semble que on l’appeloit sire Cosme de la Mouresque, devers le héraut et lui dit : « Héraut, vous retournerez devers vos maîtres qui ci vous ont envoyé, et leur direz de par nous : que nous voulons venir doucement et amiablement en l’obéissance de monseigneur le duc et de ma dame aussi, en la forme et manière que les autres villes de Galice ont fait ou feront. Or, allez, dit sire Cosme au héraut ; et faites bien la besogne et nous vous donnerons vingt moresques[1]. » Quand le héraut ouït parler le prud’homme et promettre vingt florins, si fut tout réjoui et dit : « Çà les vingt florins, je n’en veuil nul croire, puisque promis me les avez, et vous vous percevrez que ils vous auront valu. » Dit Cosme : « Tu les auras. » Et tantôt lui furent baillés, et les bouta en sa bourse et puis se partit de eux et retourna tout joyeux devers les seigneurs, le maréchal et les autres, qui lui demandèrent quand il vint à eux : « Conimbre, quelles nouvelles ? Que disent ces vilains ? Se feront-ils assaillir ? » — « Par ma foi ! monseigneur, répondit le héraut, nennil. Ils n’en ont nulle volonté ; mais m’ont dit que vous veniez et vos gens, et ils vous recueilleront volontiers et doucement, et se veulent mettre du tout en l’obéissance de monseigneur le duc de Lancastre et de madame, ainsi comme les autres villes de Galice ont fait ou feront. Reboutez vos épées et dites à vos archers que ils détendent les arcs, car la ville est vôtre sans coup férir, ni je n’ai point vu en toute Galice meilleures gens. » — « Or allons doncques, dit le maréchal, il nous vaut mieux à avoir ce traité que l’assaut, au moins ne seront pas nos gens blessés. »

Adonc s’en vinrent le maréchal et toute sa route tout le pas jusques à la ville, et descendirent là à pied. Puis vint le maréchal à la barrière, entre la barrière et la porte sur laquelle avoit grand’assemblée de gens, mais toutes leurs armures ne valoient pas dix francs ; et se tenoient là pour voir les Anglois. Tout devant

  1. Le manuscrit 8325 dit vingt florins.