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LIVRE III.

étoit sire Cosme Mouresque pour faire le traité, pourtant qu’il étoit des plus notables de la ville. Quand le héraut le vit, il dit au maréchal : « Monseigneur, parlez à ce prud’homme qui s’incline contre vous, car il a la puissance de la ville en sa main. » Adonc se trait le maréchal avant et demanda tout haut : « Or çà, que voulez-vous dire ? Vous rendrez-vous à monseigneur de Lancastre et à madame comme à votre seigneur et dame ? — « Ouil, monseigneur, dit le prud’homme, nous nous rendrons à vous au nom de li, et mettrons celle ville en obéissance, sur la forme et manière que les autres villes de Galice ont fait et feront. Et si vous et vos gens il plaît à entrer dedans, vous serez les bien-venus, voire parmi vos deniers payans des pourvéances, si nulles en prenez. » Répondit le maréchal : « Il suffit ; nous ne voulons que l’obéissance et l’amour du pays ; mais vous jurerez que, si le roi de Castille venoit ou envoyoit ici, vous vous clorrez contre lui ou ses commis. » — « Monseigneur, répondit Cosme, nous le jurons volontiers, si il venoit à puissance ou envoyoit, que nous nous clorrons contre lui et en serez signifiés ; et si vous étiez plus forts de lui, nous demeurerons à vous, car vous ne trouverez jà en nous point de fraude. » — « C’est assez, dit le maréchal, je ne vueil pas mieux ; avant qu’il soit un an, la détermination en sera faite, car la couronne et l’héritage de Castille, de Corduan, de Galice et de Séville demeurera au plus fort. Et appert en ce pays, dedans l’entrée ou la fin du mois d’août, des armes beaucoup et une aussi grosse journée de bataille que il ot point en Castille depuis cent ans. » — « Bien, monseigneur, dit le prud’homme ; il en advienne ce que il en pourra advenir et le droit voise au droit. Nous, en ce pays de Galice, en oserons bien attendre l’aventure. »

À ces mots furent les saints apportés ; et jurèrent ceux qui la ville de Bayonne avoient à garder et gouverner pour ces jours, à être bons, loyaux et féables, si comme sujets doivent être à leur seigneur et dame, que ils le seroient à monseigneur de Lancastre et à madame ; et les tenoient et reconnoissoient à seigneur et à dame comme les autres villes de Galice ; et le maréchal, au nom du duc de Lancastre, les reçut ainsi et leur jura à tenir et garder en paix et justice.

Quand toutes ces choses furent faites, jurées et promises à tenir, on ouvrit les portes et barrières. Si entrèrent toutes manières de gens dedans, et s’épandirent parmi la ville, et se logèrent ; la ville est grande assez pour eux loger. Et y furent quatre jours pour eux rafreschir là leurs chevaux, et pour attendre aussi le beau temps ; car en ces quatre jours que ils furent là toujours pleuvoit, pourquoi ils ne se vouloient point partir ; car les rivières étoient trop grandement engrossées ; et si sont en Espaigne et en Galice rivières trop périlleuses ; si viennent par temps pluvieux si abondamment que elles sont tantôt crues, malaisées et périlleuses à passer à gué. Pourtant vouldrent-ils attendre le beau temps, et à bonne cause ; et aussi en ce séjour ils jetèrent avis là où ils se trairoient, ou devant Betances, ou devant une autre ville forte et orgueilleuse que on appelle au pays Ribedave. En celle ville demeurent les plus orgueilleux et les plus traîtres hommes de tout le pays de Galice. Au cinquième jour il sonnèrent les trompettes de département ; et se délogèrent les Anglois de la ville de Bayonne en la Mayole, et se mirent sur les champs et trouvèrent les terres rassises et le beau temps venu et les rivières retraites dont ils furent tout réjouis. Si chevauchèrent, car tous étoient à cheval, vers Ribadave et emmenoient grands sommages[1] et grandes pourvéances ; et chevauchèrent tout en paix, car nul ne leur empêchoit leur chemin ; et tenoient les champs, et se nommoient seigneurs de Galice.

Tant cheminèrent et exploitèrent que ils vinrent assez près de la ville où ils tendoient à venir. Si se logèrent dessous les oliviers en une très belle plaine ; et étoient à demi-lieue de la ville ; et eurent conseil que ils envoyeroient leur héraut Conimbre pour parler et pour traiter à ceux de Ribedave, avant que ils fissent nul semblant de assaillir. Bien avoient ouï dire le maréchal et les seigneurs que ceux de Ribadave étoient aussi fausses gens et de aussi mauvaise condition et merveilleuse que il y en eût nuls en tout le pays et royaume de Castille qui est grand assez ; et ne font compte ni ne firent oncques du roi ni de nuls seigneurs, fors que de eux-mêmes, car leur ville est forte. Si chargèrent leur héraut

  1. Bêtes de somme.