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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/528

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

d’aller parler à eux et savoir leur intention. Le héraut partit et chevaucha jusques à Ribedave, et vint aux barrières et ne trouva nullui, mais les barrières closes et bien fermées et la porte aussi. Il commença à huer et à crier, mais nul ne répondoit : il véoit bien gens aller et venir sur les guérites ; mais nul pour chose que il dît, ni pour signe que il fît, ne s’avança oncques pour parler à lui un seul mot. Si fut-il bien en la porte, toudis huyant et brayant et faisant signe, bien une heure. Si dit en soi-même, quand il vit que il n’en auroit autre chose : « Je crois que ces gens de Ribedave ont parlé aux hommes de Bayonne et sont courroucés de ce que ils me donnèrent vingt moresques à si peu de peine ; ils veulent que je les compare ci. Sainte Marie ! dit-il encore, avant que ils m’en donneroient autant, ils auroient plus cher que je fusse pendu. »

À ces mots, quand il vit que il n’en auroit autre chose, il retira son cheval et vint où il avoit laissé le maréchal et les routes ; quand il y fut venu, ils lui demandèrent : « Or avant, Conimbre ; quelles nouvelles ? Ces vilains de Ribedave se feront-ils assaillir, ou si ils se rendront bellement ainsi comme les autres ? » — « Par ma foi ! dit le héraut, je n’en sais rien ; il sont si orgueilleux que pour choses que je aye appelé et hué, ils ne m’ont encore oncques rien répondu. » Donc, dit messire Jean Buvrellé au héraut : « Conimbre, et as-tu vu nullui par aventure ? Espoir s’en sont-ils fuis et ont laissé la ville pour la doute de nous. » — « Fuis ! dit le héraut. Monseigneur, sauve votre grâce, ils ne daigneroient. Car avant que vous les ayez, ils vous donneront plus à faire que tout le demeurant de Galice. Sachez que il y a dedans gens assez, car je les ai vus ; et quand je les appelois en haut en disant : « Écoutez ! Je suis un héraut que les seigneurs envoient ci pour parler et traiter â vous ; » ils se taisoient tout coi, et me regardoient, et puis se rioient. » — « Hà, les faux vilains ! dit le maréchal, ils seroient bons châtiés ; aussi seront-ils par Saint George ! car jamais de la marche ne partirai, si les aurai mis en obéissance, si monseigneur de Lancastre ne me redemande. Or nous ordonnons ; mangeons et buvons un coup, et puis nous irons à l’assaut ; car je vueil voir Ribedave de plus près, et quelle forteresse il y a, quand les vilains sont si orgueilleux que ils ne font compte de nous. » Ainsi fut fait que le maréchal ordonna.

Quand ils eurent mangé et bu un coup dessous les oliviers, si étoit-il au mois de janvier, mais il faisoit aussi souef que en mai, et le soleil rayoit sur les bassinets bel et clair. Ils montèrent tous à cheval et se départirent et mirent au chemin en sonnant buisines et trompettes qui faisoient grand’noise : ils n’avoient guères à aller ; ils furent tantôt devant la ville de Ribedave ; et coururent de commencement aucuns chevaliers et écuyers en faisant leurs montres jusques aux barrières ; et ne trouvèrent nullui, mais il y avoit en la porte grand’foison d’arbalêtriers, qui commencèrent à traire, et tant que il y ot des chevaux atteints et blessés. Donc vinrent archers qui se rangèrent devant les barrières et sus les fossés, et commencèrent à traire à pouvoir à l’encontre de ces arbalêtriers. Et là ot assaut dur très grand et fort, et qui longuement dura. Voir est que la ville de Ribedave est forte assez, et que de l’un des lez elle n’est pas à conquerre, car elle siéd sur roche tout unie, où nul ne pourroit monter. De l’autre part où l’assaut étoit, elle siéd au plain, mais il y a grands’fossés ens ès quels il n’y a point d’eau, mais ils sont moult malaisés à monter. Chevaliers et écuyers s’essayèrent à les avaler et puis au ramper, et portoient targes sur leurs têtes pour briser et eschever le trait et le jet des pierres qui venoient d’amont ; et archers étoient rangés au long des fossés qui traioient à pouvoir si ouniement que à peine s’osoit nul défendant montrer. Là ot ce jour à Ribedave grand assaut, et plusieurs de ceux de dedans et dehors blessés pour le trait. Quand ce vint au soir que il fut heure de retraire, on sonna la retraite. Si cessa l’assaut et se retrairent les Anglois à leurs logis dont ils s’étoient partis, et se tinrent tout aises de ce que ils avoient ; c’étoit assez ; et remirent à point les blessés. Et fut ce jour Thierry de Sommain à la barrière trait d’un vireton tout parmi le bras, par telle manière que il convînt le vireton chasser outre ; et fut depuis plus d’un mois que du bras il ne se pouvoit aider, et le portoit en écharpe en une touaille[1].

  1. Serviette.