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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

et ne menoit pas grand arroy ni vouloit mener. Et chevaucha tant qu’il vint à Boulogne. Quand il fut là venu, il prit un vaissel et entra ens, et eut vent à volonté ; et singla tant qu’il vint au port de Douvres. Là trouva-t-il le comte de Cantebruge, le comte de Bouquinghen et plus de cinq cens hommes d’armes et deux mille archers qui se tenoient là pour garder le passage ; car renommée couroit que les François arriveroient là ou à Zandvich.

Et à Zandvich étoient le comte d’Arondel et le comte de Northonbrelande, à autant ou plus de gens d’armes. À Oruelle, où on disoit aussi que ils avoient avisé d’arriver, étoient le comte d’Asquesuffort, le comte de Pennebruge, le comte de Northinghem et messire Raoul de Gobéhem ; et avoient iceux seigneurs bien mille hommes d’armes et quatre mille archers et bien trois mille gros varlets. Et le roi se tenoit à Londres, et une partie de son conseil de-lez lui ; et oyoit tous les jours nouvelles des ports et hâvres d’Angleterre.

Quand le roi d’Arménie fut arrivé à Douvres, on lui fit bonne chère, pourtant que il étoit étranger ; et fut mené des chevaliers devers les deux oncles du roi, qui le recueillirent bellement et doucement, ainsi que bien le sçurent faire ; et quand il fut heure, ils lui demandèrent dont il venoit ni où il alloit, ni quelle chose il demandoit ni quéroit. À toutes ces demandes il répondit et dit que, en espèce de bien, il venoit là pour voir le roi d’Angleterre, et son conseil et pour traiter paix et accord entre le roi de France et lui, si on lui pouvoit trouver. « Car la guerre, ce dit le roi, n’y est pas bien séant ; et par la guerre de France et d’Angleterre, laquelle a duré tant d’ans et tant de jours, sont les Sarrasins et les Turcs enorgueillis, car il n’est qui les ensonnie et guerroye ; et par cette cause j’en ai perdu ma terre et mon royaume, et ne suis pas taillé du recouvrer, si paix ferme n’est entre les Chrétiens ; si remontrerois volontiers cette matière, qui tant touche à toute chretienneté, au roi d’Angleterre, si comme je l’ai remontrée au roi de France. »

Lors fut demandé des oncles du roi au roi d’Arménie si le roi de France l’envoyoit là. Il répondit que nul ne l’y envoyoit, mais y étoit venu de soi-même en instance de bien et pour voir si le roi d’Angleterre et son conseil voudroient point entendre à nul traité de paix. Et lors fut-il demandé où le roi de France étoit, et il répondit : « Je crois qu’il soit à l’Escluse, car je ne le vis depuis que je pris congé de lui à Senlis. » Lors fut-il demandé : « Et comment donc pouvez-vous faire bons traités ni entamer, quand vous n’êtes autrement chargé de lui ? Si vous traitez maintenant devers le roi notre nepveu et son conseil, et le roi de France, à toute sa puissance que il tient là à l’Escluse et environ, passât outre et entrât en Angleterre, vous en recevriez blâme, et seriez de votre personne en grand’aventure de la communauté de ce pays. »

Adonc répondit le roi d’Arménie et dit : « Je suis fort assez du roi, car j’ai envoyé devers lui et fait prier que, tant que je sois retourné de ce pays, il ne se meuve point de l’Escluse ; et je le tiens pour si avisé et si noble que à ma prière il descendra, et que point en mer ne se mettra tant que je serai retourné devers lui. Si vous prie, en instance de bien, par pitié et par amour, que vous me fassiez adresser tant que je puisse voir le roi d’Angleterre et parler à lui, car je le désire très grandement à voir. Ou si vous êtes chargés de par lui, qui êtes ses oncles, et les plus puissans d’Angleterre, à faire réponse à toutes demandes, que vous le me vueilliez faire. » Donc répondit messire Thomas le comte de Bouquinghen et dit : « Sire roi d’Arménie, nous sommes ci ordonnés et établis à garder le passage et la frontière de par le roi d’Angleterre et son conseil, et non plus avant ; nous ne nous voulons charger ni ensoigner des besognes du royaume, si il ne nous est étroitement commandé du roi. Et puisque, par bien et par espèce de bien et de humilité, vous êtes venu en ce pays, vous soyez le bien venu. Et sachez que nulle réponse finale sur quoi vous vous puissiez arrêter ni affirmer, vous n’aurez de nous. Outre, nous ne sommes pas au conseil du roi maintenant ; mais nous vous y ferons mener sans péril et sans dommage. » Répondit le roi d’Arménie : « Grand merci ! je ne demande mie mieux ni autre chose, fors que je le puisse voir et parler à lui. »

Quand le roi d’Arménie se fut rafreschi sept jours à Douvres, et que il ot parlé à grand loisir aux deux oncles du roi dessus nommés, si s’en partit en bon conduit que les seigneurs lui délivrèrent pour la doute des rencontres : tant exploita et fit que il vint à Londres. Si fut le dit