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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

parmi le traité qu’ils mettent avant, car je crois bien que le roi de Castille n’a nulle volonté si prestement de vous combattre. » — « Je ne sais, dit le duc ; Dieu doint qu’il vienne à la bataille tantôt, si serons plutôt délivrés ; car je voudrois que ce fût dans six jours. Et puisque vous le voulez, je le vueil aussi. »

Adonc se retourna la dame devers les hommes, et leur dit en galicien : « Allez ; vous avez exploité ; mais délivrez au maréchal de vos hommes de la ville des plus notables jusques à douze qui soient pleiges pour tenir le traité. » — « Bien, madame, » répondirent ceux de la ville. Adoncques se levèrent-ils ; et messire Jean Soustrée fut élu et chargé, qui amenés les avoit, de faire toute celle réponse au maréchal ; lequel maréchal s’en contenta bien, quand ils furent retournés devers lui ; et ceux s’en allèrent à Betances et contèrent comment ils avoient exploité.

Adoncques furent pris en la ville douze hommes des plus notables et envoyés devers le maréchal. Si demeura la ville de Betances en paix parmi la condition que je vous baille ; et tantôt que ils eurent parlé ensemble, ils envoyèrent devers le roi de Castille ; et y furent commis ces propres six hommes et non autres, lesquels avoient fait les traités au duc de Lancastre. Et cheminèrent tant qu’ils vinrent au Val-d’Olif où le roi se tenoit et une partie de son conseil. Quand ils furent venus et le roi sçut leur venue, il les voult voir pour parler à eux et pour demander des nouvelles. Encore ne savoit-il rien de la composition que ils avoient faite au duc de Lancastre ni que les Anglois fussent devant Betances.

Entrementres que ces six hommes allèrent au Val-d’Olif pour parler au roi, si comme vous savez, ordonna le duc la duchesse sa femme et sa fille madame Catherine pour aller au Port voir le roi de Portingal et la jeune roine sa fille, et lui dit ainsi le duc au partir : « Constance, vous me saluerez le roi mon fils, et ma fille et les barons de Portingal, et leur direz des nouvelles telles que vous savez, comment ceux de Betances sont en traité devers moi, et ne sais pas encore comment ils sont fondés, ni si votre adversaire Jean de Tristemare leur a fait faire ce traité, ni si il nous viendra combattre, car bien sais que grand confort lui doit venir de France et viendra, puisque le voyage de mer est rompu et que chevaliers et écuyers de France, qui désirent les armes et à eux avancer, viendront en Castille au plutôt comme il pourront. Si me faudra tous les jours être sur ma garde pour attendre la bataille. Et ce direz-vous au roi mon fils et aux barons de Portingal. Et si aucune chose me vient où que je voie que je doive avoir à faire, je le signifierai sur heure au roi de Portingal. Si lui direz de par moi que il soit ainsi pourvu comme pour aider à garder notre droit et le sien, ainsi comme nous avons par alliance juré et promis ensemble. Et outre vous retournerez devers moi ; mais vous lairrez celle saison notre fille Catherine de-lez la roine sa sœur, au Port de Portingal. Elle ne peut mieux être ni en meilleure garde. » — « Monseigneur, répondit la dame, tout ce ferai-je volontiers. »

Lors prit congé au duc la duchesse, et sa fille et les dames et damoiselles qui en leur compagnie étoient, et montèrent aux chevaux et partirent. Si furent accompagnées de l’amiral messire Thomas de Percy, de messire Yon Fitz Warin, du seigneur de Taillebot, de messire Jean d’Aubrecicourt et de messire Maubruin de Linières : et leur furent délivrés cent lances et deux cents archers ; et chevauchèrent vers le Port, et tant exploitèrent que ils y parvinrent ou assez près.

CHAPITRE LVIII.

Comment la duchesse de Lancastre et sa fille allèrent voir le roi et la roine de Portingal, et comment la ville de Betances se mit en composition au duc de Lancastre et elle se rendit à lui.


Quand le roi de Portingal entendit que la duchesse de Lancastre et sa fille venoient, si en fut grandement réjoui ; et envoya à l’encontre d’elles des plus notables de sa cour, le comte d’Angouse et le comte de Novaire, messire Jean Radighes de Sar, messire Jean Ferrant Percek, messire de Vascousiaux, messire Vasse Martin de Merlo, messire Egheas Coille et bien quarante chevaliers, lesquels chevauchèrent deux grandes lieues contre les dames, et les recueillirent grandement et liement et moult honorablement. Et la duchesse qui bien le savoit et sait faire s’accointa aussi moult doucement des barons et chevaliers. Et étant sur les champs, l’un après l’autre elle inclina, et les reçut de paroles et de manière et par bon arroy. Ainsi vin-